Architecture et Pouvoir, une relation complexe...
LES ARCHITECTES
ET LE POUVOIR
Futur campus de la Société Générale, Val-de-Fontenay (94),
Architecture Anne Démians
Dans la revue « Office et Culture » (1), consacrée à l’aménagement des espaces de travail tertiaire, Anne Démians explore les relations compliquées qu’architectes et artistes entretiennent avec le(s) pouvoir(s).
Après des études à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, Anne Démians fonde sa première agence en 1995 et créée en 2003 AAD Architectures Anne Démians. Elle revendique la disponibilité comme attitude avec pour objectif la diversité. Depuis 2004, elle est lauréate de plusieurs concours tel qu’en 2011, le Campus tertiaire de la Société Générale, un immeuble de bureaux et services associés de 90 000m2 et 5.000 personnes à Val-de-Fontenay (94).
Une Architecte-Urbaniste touche à tout. Elle enseigne cette année l’Architecture à l’Université Paris-Dauphine dans le cadre du Master en « Management de l'immobilier ». Depuis 2010, elle est membre de la Commission chargée par le Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du territoire de réfléchir aux applications et évolutions de la nouvelle règlementation.
Les architectes et le(s) pouvoir(s). Extrait…..
De tous temps, les architectes et les artistes ont placé l’art au service des grandes causes et entretenu avec le pouvoir des relations compliquées. Les créatifs et les gens de pouvoir se sont souvent croisés, rapprochés ou même affrontés. Ils se sont influencés et se sont souvent rendus « complices » d’œuvres majeures.
Le conflit (ou le divorce) entre l’art et le pouvoir ne peut donc exister, car l’artiste et l’architecte sont des éléments structurants du jeu complexe qui les rapproche de l’autorité politique qu’ils ont toujours accompagnée, soit en la servant, soit en l’exerçant. On s’aperçoit qu’à travers le temps, l’influence de l’autorité s’épuise. La société moderne trouve d’autres moyens d’exprimer sa puissance ou les formes de sa politique. C’est la communication, poussée à l’extrême qui commande alors, et vient se mettre entre les arts et le pouvoir, constituant une inévitable troisième force qui change la règle du jeu. Le monde de la grande diffusion déplace alors les cibles, autant qu’il affaiblit les lignes de compétences profondes d’un commanditaire qui délègue désormais son ambition à des commissions stériles, incapables de définir des lignes de conduite claires à des architectes qui s’installent peu à peu dans la désespérance. L’architecte et l’artiste se réfugient dans une réflexion plus sourde et plus confidentielle.
C’est avec Malraux, dans le XXe siècle d’après guerre, que la collusion des pouvoirs est voulue et s’impose. L’Etat promulgue des lois qui protègent les artistes, les auteurs et les architectes. Et leurs œuvres, aussi.
Les années Georges Pompidou et la période de la présidence de François Mitterrand réveillent à nouveau cette attirance irrépressible entre le pouvoir et l’artiste. Des œuvres importantes voient alors le jour (Beaubourg, la Pyramide du Louvre, l’Arche de la Défense), donnant à l’architecte la responsabilité d’interpréter le nouveau dynamisme culturel. Les créateurs agissent sur des univers rétrécis, mais mieux adaptés au rythme ultra-rapide d’une communication de plus en plus dévorante et dévastatrice.
Au début des années 2000, la part la plus importante de la commande passe des mains du secteur public à celles du secteur privé. Le journaliste François Lamarre (2) pointe du doigt le déficit de performance attendue entre la promesse des projets lancés et la réalité du résultat, quant il écrit « que les constructions engagées sous l’autorité d’une politique de prestige sont dépassées et qu’on en récupère aujourd’hui que les débris inconséquents». C’est un fait établi, incontestable ! Bien des opérations de prestige, lancées il n’y a même que 10 ans, apparaissent à leur livraison décidemment trop tardive comme absurdes et dispendieuses. Ces bâtiments, souvent démonstratifs, voire grimaçants, sont les fruits trop mûrs d’une époque révolue. La gabegie est encore plus flagrante quand le contenu n’y est pas, ou quand il est inconsistant, la construction faisant fonction de programme et réalisant elle-même l’événement attendu. Que l’argent soit public ou pas, l’investissement obéit à de nouvelles règles d’économie et surtout d’efficience sociale .
L’architecte « nouvelle génération » est, dès lors, engagé malgré lui, dans une obligation de produire des réponses plus adaptées aux questions économiques et politiques et, de manière plus ciblées, à celles qui restent par la mutation ultra-rapide et sur-sophistiquée de nos sociétés. Pour y parvenir, il met en place des dispositifs méthodologiques qui fabriquent les versions opérantes des projets modernes. Il favorise certaines aptitudes proches d’un art de synthèse qui le conduisent à inventer une forme nouvelle, plus personnelle et « d’un genre nouveau », plus réfléchie et plus complète………
Mais l’art n’est pas absent de la méthode. L’architecte en fait sa cible. La décision est diluée et se disperse avec le temps, quand en parallèle, la démocratie atteint le degré le plus pervers de son succès. Trop de concertations ont tué l’expressivité et la cohérence des projets. L’architecte, dont l’œuvre est prise, chaque jour d’avantage en otage par des professionnels du recours, s’interroge sur son rôle : est-ce que Brunelleschi, au moment d’entreprendre la coupole de la cathédrale de Florence, comme n’importe quel architecte aujourd’hui, aurait pu sortir indemne (ou simplement entendu) du croisement meurtrier des décisions engagées sur le terrain politique, par des élus, des collèges d’experts, des investisseurs et des associations qui se partagent le pouvoir ?.........
On peut toujours s’interroger sur ce que sera le profil exact de l’architecte de demain si on le redéfini d’après son rôle. En réponse à cette interrogation, on peu penser que l’architecte devrait tenir le rôle de celui qui garantit aux uns et aux autres « une esthétique minimum garantie » contre la nature même des parties. Les managers ont remplacé les ingénieurs après que les ingénieurs aient remplacé les architectes dans la conduite des affaires. La culture de la prévision d’aléas a supplanté le recours aux connaissances techniques qui présidaient à tous les projets. La renaissance de groupes d’individus capables de résister à l’encombrement de ces forces dispersées est urgente. Une fois évacuée la question sensible du pouvoir, l’architecte pourrait bien se distinguer par une position solide au croisement synthétique des urgences.
L’architecture de demain ne deviendra-t-elle pas le terrain de jeu privilégié des femmes (3)?
Le point de vue de l’ADIHBH-V
Selon l’auteur, la démocratie a atteint le degré le plus pervers de son succès, puisque trop de concertation tue l’expressivité et la cohérence des projets de l’architecte. C’est un point de vue que nous respectons, mais faut-il encore rappeler que tous les architectes ne sont pas systématiquement des « Grand Prix de Rome ». Si nous faisons appel à nos souvenirs, nous sommes toujours à la recherche de l’expressivité originale et de la cohérence du projet d’aménagement de 2007 de la ZAC dite du Clos aux Biches et de la friche de Maille Horizon. Sans être des professionnels du recours contentieux dits « mafieux ou pas », et sans détenir le moindre pouvoir, hormis celui de la « pugnacité du citoyen », notre association de défense a pu stopper et peut être inverser l’ordre des choses grâce à de nombreuses contestations devant les Tribunaux Administratifs. Ce qui conduit aujourd’hui un autre cabinet d’architecte articulé autour d’une nouvelle génération de créateurs, à apporter immédiatement une réponse adaptée sur Maille Horizon-Nord, et vraisemblablement demain sur les Bas-Heurts.
Loin de nous l’idée de vouloir prendre l’architecte en otage, mais il doit comprendre qu’il faut modifier l’approche du bien commun et la méthodologie de prise de décision. Or, pour y parvenir, nous devons être capables de « penser la ville ensemble »,c’est-à-dire ne plus considérer qu’une seule élite, fut-elle architecte, soit capable de définir ce que seront « les conditions du vivre ensemble » dans un quartier réaménagé aujourd’hui et surtout demain.
Autrement dit, négocier la ville et négocier la cité revient à reconsidérer le rôle de chacun des acteurs de la cité dans cet exercice politique majeur qu’est la concertation pour définir la ville de demain. Cela concerne les architectes, les élus, les ingénieurs, les experts, les associations et les utilisateurs de la ville, ceux qui y habitent, y travaillent ou y trouvent leurs loisirs. Pour éviter un désenchantement démocratique, le processus de concertation ne peut se résumer à quelques réunions publiques sur un projet urbain plus ou moins bien ficelé et orchestrées autour d’une argumentation chancelante, animées par un architecte servile d’un pouvoir politique aux décisions engagées.
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Contribution bibliographique.
(1)- Revue « Office et Culture » n°30 de novembre 2013, consacrée à l’aménagement des espaces de travail tertiaire. Toute notre gratitude à Madame Anne Démians qui a bien voulu nous communiquer sa publication suite à sa conférence du SIMI, le 05 décembre 2013.
(2) - François Lamarre, architecte DPLG, est venu au journalisme, via la recherche urbaine. Il a travaillé sur l'économie et la production du cadre bâti. Il collabore à divers titres de la presse spécialisée, et tient la rubrique « architecture » dans le quotidien Les Echos.
(3)- Pour la première fois depuis sa création en 1989, le Grand prix de l’urbanisme a été attribué à une femme, qui l’a reçu des mains de la Ministre de l’Ecologie Cécile Duflot, le 16 décembre à Paris. Chercheur, enseignante et praticienne, l’Italienne Paola Viganò explique sa démarche de projet et confronte les pratiques urbaines en France et à l’étranger.