La densification urbaine en question
LA DENSIFICATION
URBAINE
EN QUESTION
L’outil de contrôle de la densité le plus connu est le Coefficient d’Occupation des Sols (COS), né en 1967. Cet outil a subi de nombreuses critiques, car il n’offre qu’une médiocre maîtrise qualitative des formes bâties. Pour obtenir cette maîtrise, il faut recourir à d’autres outils, tels les hauteurs, les bandes constructives, les règles de mitoyenneté, etc…
Dernièrement, la question de la densité a été remise à l’ordre du jour, au travers du projet de loi Grenelle 2 qui mentionne, entre autre, dans son article 10, que les PLU prévoient des densités minimales de constructions dans les secteurs proches des transports collectifs.
Une chose est certaine, la perception de la densité a peu à voir avec les mesures quantitatives de la densité bâtie ou de la densité de la population. Une première étape pour appréhender la perception de la densité est de distinguer la densité choisie et la densité subie. Les grands ensembles sont rejetés parce qu’ils sont largement imposés à des populations qui ne désirent pas y vivre. C’est une différence essentielle avec l’habitat individuel. Cette observation vaut aussi pour la densité humaine. Ainsi, la densité humaine dans le RER A aux heures de pointes est mal vécue, car imposée. La même concentration humaine au Stade de France, lors d’un match de Rugby de l’Equipe de France, est à l’inverse bien vécue, parce que choisie.
Mais si la définition de la densité n’est pas simple (Cliquer sur : Appréhender la densité. IAURIF, Notes Rapides n° 383 et 384, Juin 2005), il semble que la densité soit l’un des meilleurs outils à la disposition des urbanistes pour réduire l’usage de l’automobile, puisque des chercheurs australiens Newman et Kenworrthy montrent une corrélation entre la densité et l’usage des transports collectifs ou la marche à pied. Toutefois, Xavier Desjardins (Maître de conférences à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne) énonce quelques objections. Au travers de quelques exemples, il signale que les données sont à prendre avec précaution.
Selon Desjardins, il s’avère que les avantages de la densité et d’une politique de densification sont loin d’être évidents si l’on prend en compte l’ensemble des facteurs de la consommation énergétique urbaine. En effet, dans leur étude, les Australiens étayent seulement leur analyse sur des comparaisons du lien entre densité et consommation énergétique à l’échelle de la métropole, et non à l’échelle des quartiers ou des secteurs urbains. Ce qui semblerait insuffisant pour guider finement les décisions à prendre en termes d’aménagement.
Pour être plus explicite, à Noisy-le-Grand, comment pourrait-on vanter les mérites du vélo et de la marche à pied, à une mère de famille qui réside dans un futur immeuble collectif de la rue Navier, dont ses enfants sont scolarisés en primaire rue de Verdun, à La Varenne (quatre allers/retours par jour). Qui entre temps doit se précipiter au Centre Commercial des Arcades, pour faire ses courses, et en fin de journée, souhaite suivre son cours de Yoga au gymnase des Yvris, pour retrouver sa professeur favorite.
Si l’on considère que la dépendance automobile est la clé du problème et qu’il convient de la réduire, il faut en définir précisément les sources et les modalités, tels par exemple dans un quartier les codes sociaux, les réseaux routiers, l’ensemble des équipements publics sportifs, culturels, de loisirs, et la proximité des commerces, En fait, selon la distribution des ressources territoriales d’une ville et l’organisation du système de transport urbain, les citadins se révèlent inégalement contraints aux dépenses énergétiques élevées pour satisfaire leur programme d’activité journalier.
Aussi, si dans la pratique des études ont certes montré que les politiques de densification pouvaient favoriser un plus grand recours à la marche à pied ou aux transports collectifs et permettre une diminution des kilométrages automobiles, cela ne réduit cependant pas la dépendance automobile. Donc, selon Xavier Desjardins, l’urbanisme n’influe pas directement sur les comportements, mais peut tout simplement contribuer à offrir un cadre propice aux changements de pratiques.
En conséquence, tous les griefs de nuisance que l’ADIHBH-V a pu dénoncer depuis 2004 sur l’édification de 1500 logements collectifs, avec une densification de 160 logts/ha du quartier enclavé des Bas Heurts, et confirmés par les deux jugements du Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise, se trouvent confortés par le débat actuel sur la densification. Même si le nouveau PLU préconise de donner toute leur place aux circulations douces (piétonne, itinéraire cyclable) et aux transports en communs à l’horizon 2025 avec les projets Arc Express et Métro automatique du Grand Paris, l’éradication du trafic automobile est pour nous une vue de l’esprit idéologique, dans les communes de la banlieue parisienne
Mais ce n’est pas tout. On lisait il y a quelques mois dans la presse, que trois Français sur quatre aspiraient à vivre dans une maison individuelle. L’habitat pavillonnaire représente près de 60% du parc de logements en France (28,4% à Noisy-le-Grand) et chaque année 70% de la construction neuve. Pourtant, les citadins les plus aisés se battent pour vivre dans les quartiers les plus denses. Ainsi, les quartiers dont la densité bâtie figure parmi les plus élevées en France sont les quartiers Haussmanniens de Paris. Mais voilà, Paris c’est Paris, ce n’est pas Noisy-le-Grand, il ne faut pas se tromper. Ce n’est évidemment pas la densité bâtie que les gens viennent rechercher dans les centre-villes. Ils ne souhaitent pas y vivre pour le plaisir de s’empiler les uns sur les autres, ils y viennent pour l’animation, les facilités de déplacements et l’accès simple et rapide aux emplois, aux commerces et aux équipements.
Selon Eric Charmes, il faut insister sur ce point, car les politiques publiques tendent parfois à se fourvoyer dans la densité pour la densité, et à réduire l’enjeu de la densité à un problème architectural. Dans Etudes Foncières, Vincent Fouchier indique que la densité n’a pas de valeur pour elle-même ; c’est par ses interdépendances qu’elle peut devenir attrayante.
Pour que les ménages soient attirés par des environnements denses, il faut que ces environnements soient « intenses ». Pour Vincent Fouchier, Directeur Général Adjoint de l’Institut d’Aménagement et d’urbanisme de l’Ile-de-France,
"L’intensification" ne passe pas nécessairement par une densification du bâti.
Intensifier, c’est utiliser mieux et davantage les espaces urbains existants, qui souvent ne sont pas assez utilisés par rapport à leurs potentiels.
C’est donner plus de destinations, plus d’occasions de croisement, plus de possibilités d’activité, plus de monde.
À titre d’exemple, nous connaissons dans la ville de Coubron, en Seine-Saint-Denis, un très beau gymnase dans lequel le Maire a imaginé une mixité d’usage : Salle de sport, Salle des Fêtes, Spectacles, Conférences, Assemblés Générales, Banquets,…Dans ce cas, Raymond Coënne à intensifié l’usage, sans densifier le bâti. L’intensification, c’est donc accueillir plus de choses, dans une enveloppe donnée.
Fouchier avance un troisième terme qui est « la compacité ». La compacité, c’est la concentration du développement d’une agglomération (ou d’un quartier) ; là où la desserte en transport en commun est bonne. Le contexte et les logiques foncières se prêtent souvent mal à des densités très élevées dans des secteurs peu denses. A l’inverse, dans les secteurs qui sont denses, on peut reconvertir des friches, on peut combler des dents creuses, etc…Bref, il y a des potentiels que l’on peut valoriser de manière douce en faisant de la densité, sans pratiquer la « tabula rasa », technique atypique préconisée par la commune de Noisy-le-Grand.
Nous voyons bien ici que nous sommes en plein dans la problématique de l’urbanisation des Bas Heurts et de Gournay-Cossonneau.
Pour les chercheurs, une nouvelle filière de renouvellement urbain est à l’étude. Elle devrait être capable d’intervenir, là où les filières classiques (ZAC, Lotissements, …) sont incapables d’intervenir raisonnablement au sein des tissus pavillonnaires existants, sans agresser et créer de sérieux traumatismes chez les habitant de ces quartiers qui y vivent ou y travaillent, y ont leurs relations sociales et leurs habitudes.
Mais cette nouvelle façon de pratiquer l’urbanisme n’en est pas moins déroutante pour la plupart des professionnels de l’aménagement, de l’urbanisme et des élus. Nous reparlerons de ce projet de recherche en détail, dans un prochain article.
Ceci étant, Anastasia Touati, Ingénieur urbaniste, conclut son article en précisant qu’après avoir été considérée comme une source des plus graves pathologies urbaines, la densité apparaît aujourd’hui comme un antidote à la crise environnementale et comme un idéal pour les villes.
Mais, Eric Charmes mentionne que les pistes pour conduire à une densification des banlieues sont d’autant plus ouvertes que, d’une part les densités les plus vertueuses pour l’environnement ne sont probablement pas les plus fortes.
D’autre part, qu’il est tout à fait possible d’atteindre des densités relativement élevées avec des formes bâties attractives et notamment avec de l’habitat individuel.
C’est désormais une banalité de souligner que l’on peut atteindre avec de l’habitat pavillonnaire en bande, une densité nettement supérieure à celle de la plupart des grands ensembles de banlieue.
En réalité, la densité ne doit pas être imposée, elle doit venir naturellement parce qu’on a quelque chose qui la justifie.
La centralité, l’intensité et la compacité sont des manières d’encourager la densité. Cependant, s’il n’y a pas une vraie stratégie cohérente, transversale, avec tous les moyens et tous les acteurs, il est très difficile de faire une densification acceptable et réussie.
Finalement, nous écrirons qu’il y a besoin d’un réel savoir-faire pour gérer la période de transition de la densification.
Ce savoir faire ne serait pas toujours présent dans les projets politiques locaux, surtout si les enjeux sont uniquement orchestrés sous l’autorité du Maire bâtisseur de la ville.
Il faut savoir et avoir une réelle volonté politique de mener des concertations méthodiques, mais de vraies concertations, telles que nous avons pu les définir dans nos différents articles précédents.
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Contribution bibliographique :
- Etudes Foncières n° 145, mai - juin 2010, « La densification en débat » :
- Eric Charmes : Institut Français d’Urbanisme- Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
- Anastasia Touati : Ingénieur Urbaniste-Chargée de Recherche au CETE-Doctorante,
- Xavier Desjardins : Maître de Conférences à l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne,
- Hélène Nessi : Architecte urbaniste – Doctorante,
- Jean-Michel Léger : Sociologue au CNRS,
- Vincent Fournier : Directeur Général Adjoint de l’Institut d’Aménagement de l’Ile-de-France
- Mindjid Maïzia : Professeur à l’Ecole Polytechnique de l’Université de Tours.
- IAURIF : « Appréhender la densité », Notes rapides n° 383 et 384 de juin 2005.