L’analyse du projet de loi soumis à l’examen du conseil d’état, que nous développons ci-dessous démontre, au contraire, que ce projet de loi entrainera une dégradation de la qualité des constructions sans pour autant déboucher sur une réduction des coûts, qui, comme nous l’avons souvent développé (comme beaucoup d’autres) est principalement liée au foncier [1] et qu’il a totalement oublié de se préoccuper du cadre de vie, de l’intérêt des habitants et des futurs usagers.
Article 2
Cet article prévoit de donner des compétences de maîtrise d’œuvre aux établissements publics dans les GOU (Grande Opération d’Urbanisme), qui pourraient ainsi réaliser en interne les équipements publics : « Cet établissement assure alors la maîtrise d’ouvrage de ces équipements ainsi que la réalisation des études et de toutes missions nécessaires à l’exécution des travaux que leur construction nécessite » .
À l’instar des Sociétés Publiques d’Ingénierie, cette disposition est en concurrence déloyale avec les entreprises privées de la maitrise d’œuvre, totalement aptes à offrir ces services, et ce sur l’ensemble du territoire.
Article 4
L’exposé des motifs de cet article est clair : « Le III (de l’’article 4) autorise un aménageur à exercer la maîtrise d’ouvrage des équipements de bâtiments pour le compte de la collectivité dans le cadre de sa concession, sans être soumis à la loi MOP. Sont particulièrement visés les constructions des écoles, des gymnases etc. nécessaires au développement d’un nouveau quartier de logements »
Par cet article, les collectivités locales se trouvent exclues de leur rôle : les écoles, crèches, gymnase et autres équipements publics seront réalisés par les aménageurs, et hors des règles de marchés publics. Imaginez NEXITY construisant des quartiers entiers, logements, crèches, écoles, gymnases,…etc, sans aucune règle de commande publique ?
Cet article crée également un nouveau cas de dérogation à la loi MOP alors que ces opérations d’aménagement sont des opérations d’envergure dont les enjeux sont d’importance.
Elles doivent donc être exemplaires.
La réalisation de tout type d’équipements publics (bâtiment ou infrastructure) dans leur périmètre doit relever des principes imposés par la loi MOP.
Article 18
En modifiant le code des marchés publics pour favoriser l’industrialisation, cet article instaure en fait le développement des constructions modulaires préfabriquées – ce que le président du l’ACIM (Association des Constructions Industrialisées et Modulaires) a fort bien compris (voir l’article de BATIACTU du 15 février 2018) et non un soutien à des filières sèches comme celle du bois nullement entravé par le code actuel des marchés publics.
Est-ce à dire que nous voulons des logements en containers ou des écoles en « préfabriqués ».
Cet article prévoit également que « les soumissionnaires peuvent proposer des offres variables » Comment analyser une « offre variable » prévue dans ce même article pour un « objet » qui ne correspondra en rien à la demande initiale de l’appel d’offres ?
Article 20
Il prolonge, encore une fois, la dérogation accordée aux bailleurs sociaux par l’article 110 de la loi Boutin du 25 mars 2009, qui les autorisait pour une période de 3 ans à avoir recours aux marchés de conception-réalisation pour la construction de logements sociaux.
Et nous craignons, comme l’a annoncé le ministère de la cohésion des territoires que ce soit dans le but de le pérenniser ad vitam aeternam, selon les propos tenus par le ministère au Moniteur : « S’il y a des parlementaires qui souhaitent que l’on prolonge indéfiniment le dispositif, c’est une question que l’on examinera ».
Cette procédure devait être une expérimentation avec un observatoire à la clé. Malgré les promesses gouvernementales, aucun observatoire n’a été mis en place et chacun se lance dans une bataille de chiffres et délais inexacts
Mais il suffit d’interroger une entreprise générale pour qu’ils vous indiquent qu’ils prennent une marge de 15 % à 20 % pour assurer la gestion et la coordination de ses sous-traitants.
Alors expliquez-moi comment on peut annoncer qu’une opération en conception réalisation coûte moins chère qu’une mission de base de maîtrise d’œuvre + travaux en lots séparés.
De plus, la suppression de l’allotissement détruit le tissu économique local en privant l’accès à la commande des PME et artisans du bâtiment.
Quand les territoires auront été privés des architectes, économistes et bureaux d’études, des PME et des artisans, que restera-t-il ?
Article 28
L’article 28-1 permet aux offices publics d’habitat « de créer une filiale pour construire, acquérir, vendre ou donner en location des équipements locaux d’intérêt général ou des locaux à usage commercial ou professionnel, gérer des immeubles abritant des équipements locaux d’intérêt général et des locaux à usage commercial ou professionnel « , » de créer un filiale pour réaliser des prestations de services pour le compte de syndicats de copropriétaires » et précise qu’ils peuvent à titre subsidiaire et en qualité de prestataires de service « créer une filiale pour réaliser pour le compte des collectivités territoriales ou leurs groupements des études d’ingénierie urbaine ».
Les nouvelles activités qui vont pourvoir être exercées par ces filiales ne relèvent pas du service public d’intérêt général.
Elles seront donc des prestataires en concurrence directe avec les prestataires de droit privé, promoteurs immobiliers, aménageurs, constructeurs, architectes et autres acteurs de la maitrise d’œuvre, etc.
Le député François Jolivet (LREM) a indiqué en marge de la 13ème rencontre pour le logement et l’immobilier du 20 mars 2018 vouloir « amender le texte pour que les collectivités locales ne pilotent plus les bailleurs sociaux, qu’elles ne soient plus « opérationnelles » sur le logement. La situation actuelle « n’est pas un modèle d’avenir si on parle de capitalisation des actifs », justifie-t-il. L’idée est de sortir du « financement par les subventions publiques » en permettant aux offices HLM de se transformer en ESH, coopératives, Semop ou SPL ».
Est-ce que les élus locaux sont conscients qu’après s’être fait dépouillés de leurs prérogatives sur l’aménagement des nouveaux quartiers en GOU et OIN prévues aux articles 2 et 4, ils ne pourront plus non plus agir sur les logements construits par les « nouveaux » organismes de logements « sociaux » au sein de leurs villes ?
L’article 28-5, par le biais de son 2ème alinéa supprime le recours à la loi MOP pour les bailleurs sociaux
D’après l’exposé des motifs p.178, la Loi MOP serait « un frein à la recherche de performance de l’activité de construction du secteur des organismes de logements sociaux sans amélioration de la qualité architecturale des réalisations » .
Mais se rappelle-t-on pourquoi la loi MOP a été créée ?
Avant 1985, le désir d’aller toujours plus vite et soi-disant moins cher a engendré des processus de plus en plus contestables.
Outre les malversations rendues possibles entre les acteurs (lors des appels d’offres, la conclusion de marchés avant définition complète des prestations dues par les entreprises a permis de fausser d’innombrables mises en concurrence et engendré une forte corruption), les « procédés » ont pris le pouvoir sans aucunement prendre en considération la qualité des constructions. Tout d’abord réservées aux logements, ces pratiques ont été ensuite étendues aux autres ouvrages (hôpitaux, établissements scolaires ..). Les conséquences de la politique des modèles ont été humainement désastreuses, comme le collège Pailleron, de sinistre mémoire.
L’importance de la loi MOP pour les maîtres d’ouvrage.
Le principe majeur de la loi MOP est qu’il faut confier la maîtrise d’œuvre à une équipe unique qui sera responsable de la cohérence d’un projet, et, in fine, de la réussite de l’opération, du début à la fin de celle-ci.
La loi MOP est essentielle au bon déroulement d’un projet qui nécessite une certaine maturation.
Combien d’APS refaits parce que le bailleur souhaitait plus, ou moins, de logements ou une typologie différente ? ou parce que le maire, non associé à ce projet, souhaitait des modifications importantes ?
Lors du chantier, l’équipe de maîtrise d’œuvre, indépendante des entreprises, défend son maître d’ouvrage en faisant respecter l’exécution et la qualité des prestations demandées, et les délais. Est-ce que les bailleurs sociaux ont bien compris qu’ils n’auraient plus d’intermédiaires entre eux et les entreprises ?
La loi MOP n’est en rien responsable des écueils en matière de construction de logements sociaux, elle est au contraire bénéfique au projet, à son évolution, à la maîtrise des coûts et des délais pour autant que l’équipe de maîtrise d’œuvre soit correctement rémunérée.
L’article 28-VI supprime l’obligation de concours pour les bailleurs sociaux
Ceux-ci se sont focalisés sur cette obligation, alors que cela ne concerne que peu d’opérations puisque les concours ne sont obligatoires qu’au-dessus du seuil européen (les opérations de 10 à 25 logements souvent citées sont donc exclues de cette obligation).
N’oublions pas que cette obligation de concours existait avant 2011, et que leur suppression n’a pas semblé apporter une quelconque amélioration.
Au contraire, la procédure en MAPA a entrainé de grandes dérives car dans quasiment tous les cas le principal critère de choix est le montant des honoraires de l’architecte, et non pas la qualité de l’équipe ou du projet. Ce qui a entrainé un fort dumping des honoraires et le mécontentement des bailleurs sociaux face au travail rendu. Mais il ne faut pas oublier que ce sont des prestations intellectuelles qui correspondent à des heures passées. Moins c’est cher, moins on peut y passer du temps !
Plusieurs bailleurs sociaux soulignent, a contrario, la vertu des concours : ils donnent le choix au maître d’ouvrage entre plusieurs projets, ils apportent une grande transparence vis-à-vis de la commande publique, ils évitent les recours contre les procédures d’attribution, ils associent les élus à ce choix, ce qui facilite l’obtention des permis de construire, ils réduisent l’impact négatif que peut avoir un projet de logements sociaux auprès de la population par la présence d’élus dans les jurys et éventuellement celle de représentants des habitants du quartier, ..etc
Ils n’allongent pas le délai puisque les phases ESQ et APS sont le temps du concours, et l’adhésion des maires au projet conduit souvent à réduire le délai d’instruction du permis de construire.
C’est également une procédure plus sûre qui évite les recours de concurrents
Il s’agit donc d’un faux débat
Ce projet de Loi n’apporte aucune réponse à l’objectif affiché de « construire plus, mieux et moins cher ».
Il porte essentiellement sur :
• la restructuration du secteur HLM pour le transformer un méga-opérateur quasi-privé qui pourra tout faire : aménager, construire, concevoir, gérer , …, etc, tous les bâtiments (logements, bureaux, commerces, équipements publics), hors du champ de la commande publique.
• la possibilité de créer des quartiers entiers de plusieurs milliers de logement sans aucune intervention des collectivités locales, et hors de toutes règles de marchés publics
• la destruction des pans entiers de l’économie française en détruisant des milliers d’emplois de nos entreprises de maîtrise d’œuvre indépendantes (architectes, économistes et bureaux d’études) et des artisans et PME du bâtiment.
Il a complétement oublié
- les 20 millions de logements construits en France avant 1975, dont la réhabilitation est pourtant un enjeu essentiel pour le climat et le bien être des habitants
- toutes les questions essentielles en termes d’entretien et d’exploitation, qui sont des enjeux cruciaux pour le logement social.
- l’innovation dans les logements, leur évolutivité, leur adaptation aux nouveaux modes de vie, leur réversibilité, … que nous avons développés dans nos différentes contributions.
- le cadre de vie, l’intérêt des habitants et des futurs usagers
Sans cadre qualitatif, sans réflexion sur les modes d’habiter et leurs évolutions, sans réflexion environnementale et sociologique, nous revenons des décennies en arrière dans les modes de production de la ville.
C’est un choix de société fondamental que les parlementaires devront faire ce printemps. Ils en seront comptables vis-à-vis de leurs concitoyens, et des générations futures.
______
[1] Voir les différentes contributions de l’Unsfa sur https://syndicat-architectes.fr/actions/6830/
______
Retrouvez-nous sur Facebook