Le maire, l'accession sociale et le promoteur (2)

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LE MAIRE,

L’ACCESSION SOCIALE

ET LE PROMOTEUR

 

Deuxième partie


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La pratique des politiques locales du logement : une adaptation des moyens aux objectifs politiques 

Au niveau réglementaire, les communes peuvent inscrire de nombreuses dispositions d’organisation du droit des sols au PLU. Leurs aides aux primo accédants permettent également de disposer d’un droit de contrôle étendu sur les programmes privés mobilisés pour l’accession aidée. Le Programme Local de l’Habitat (PLH) permet de tracer les lignes d’une véritable politique de l’habitat avec objectifs chiffrés par types de logement.

On doit cependant mettre en perspective ces outils légaux par rapport aux objectifs qu’ils sont supposés servir. Il n’y a pas autant d’objectifs politiques qu’il y a de situations locales. L’auteur signale que ses nombreuses discussions avec toutes les parties impliquées dans la question locale du logement, l’étude de nombreuses sources primaires et secondaires, montrent qu’en matière d’encadrement règlementaire des opérations de logements, les objectifs des élus varient peu d’une collectivité à une autre et se rangent facilement dans un nombre limitatif de cas. On dénombre six grandes catégories, mais nous ne détaillerons ici sommairement qu’un seul cas, à savoir :

Les objectifs de maîtrise foncière

Dans certains cas, la collectivité peut vouloir intervenir en amont pour peser sur la négociation des charges foncières entre propriétaire foncier et acquéreur. Elle reste l’apanage des collectivités manifestant une volonté et une capacité de maîtriser l’immobilier d’un bout à l’autre de la chaîne économique. Elle n’est pas une politique occasionnant des surcoûts sur les programmes privés, puisqu’il s’agit au contraire d’une politique de maîtrise foncière qui bénéficie sur le papier à tous les acteurs du logement, à l’exception des propriétaires fonciers. Elle reste toutefois une illustration intéressante entre règle de droit et règle de fait. Les élus ne se cachent pas d’exercer leur droit de préemption urbain souvent en dehors du cadre strictement légal, dans un motif de régulation des prix du foncier, qui n’est pas un motif valable selon la jurisprudence (le droit de préemption ne peut s’exercer qu’au service d’un projet existant et en lien direct avec celui-ci). On trouvera une description très intéressante de ces pratiques dans un article d’Olivier Morlet (1997), à compléter par celui de Godfrin (1995).

Les municipalités cherchent à contourner l’exigence légale de motiver le droit de préemption en fournissant des motifs vagues, du reste assez fréquemment cassés par les juridictions administratives. La raison véritable de la préemption n’est pas toujours liée à un projet existant. Le but non avoué : exercer un droit de regard sur les valeurs foncières de référence susceptibles d’évoluer au gré des ventes de terrains. Cette pratique agit comme une épée de Damoclès sur toutes les transactions et pousse fortement à la concertation en amont. Morlet explique ainsi : « la prise de contact informelle avec les élus locaux ou les services techniques devient ainsi un passage obligé, aussi bien pour le vendeur que l’acquéreur qui doit exposer à la commune son projet ». Cité par Morlet, un chargé d’opérations d’une SA de HLM confirme : « On ne monte jamais une opération sans avertir préalablement les élus et leur présenter le projet envisagé. On ne signe aucune promesse de vente qui risquerait de violer les règles non écrites de la collectivité et on n’engage aucune dépense avant d’avoir eu l’accord de la municipalité sur le projet envisagé, pour ne pas risquer une préemption. »

La légitimité démocratique

Un élu interrogé sur les problèmes de droit posés par l’articulation Plan Local d’Urbanisme (PLU) / Plan Local de l’Habitat (PLH) dans l’instruction des permis de construire s’exprimait en ces termes : « ………………,Il serait dommage de se limiter au strict réglementaire quand on a une politique du logement cohérente, élaborée en amont avec les professionnels ». A partir de là tout est dit. Le positionnement non pas en dehors, mais au-delà du droit, les élus l’assument tous sans hésitation. « C’est illégal, et alors ? » s’amuse un autre élu. L’illégalité ne semble pas avoir cours en politique, du moins sur ce genre de sujet. Il est très éloquent de voir le chantage au permis de construire, cette pratique décriée des promoteurs, censément occulte, qui a motivé cette étude, explicitement citée comme un moyen ordinaire parmi d’autres d’encadrer le logement.

On l’aura compris, la légalité des pratiques d’encadrement des programmes de logement compte moins que leur efficacité pratique, du point du vue des élus. Non pas que les élus fassent fi de la légalité puisqu’ils s’appuient toujours, on commence à le voir, sur des dispositifs réglementaires qu’ils  « complètent » à leur façon, mais ils se sentent investis d’une mission d’intérêt général qui est de défendre les besoins de leurs administrés, ultime Cour de justice devant lesquels ils se sentent bien davantage responsables que devant le Préfet ou le Tribunal administratif.

Guihem Dupuy se garde bien toutefois de généraliser abusivement. Cette attitude dit-il, est plutôt l’apanage des communes suffisamment bien dotées en ingénierie technique, seules capables de ne pas craindre outre mesure le contrôle de légalité de la Préfecture. Les promoteurs également parlent beaucoup de cette légitimité, plat qui leur est régulièrement servi et qui les laisse perplexes car, pas toujours très inspirées, voire contreproductives.

Le cas d’école des logements à prix maîtrisés : un examen approfondi

Illégale en l’état mais très généralement pratiquée, techniquement complexe, imposée parfois de façon arbitraire, au service de politiques parfois clientélistes, notamment quand les logements à prix maîtrisés sont produits en petite quantité et  donc rares. La loi du 28 Mars 2009 précise que les PLU peuvent désormais « délimiter, dans les zones urbaines ou à urbaniser, des secteurs dans lesquels, en cas de réalisation d'un programme de logements, un pourcentage de ce programme doit être affecté à des catégories de logements qu'il définit dans le respect des objectifs de mixité sociale » Les juristes considèrent que cette disposition donne une base légale définitive aux quotas de logements locatifs sociaux, mais qu’elle donne également une base légale aux quotas de prix maîtrisés en accession. La contrainte de prix maîtrisés semble donc avoir suivi le même chemin que la contrainte de logement locatif social, même si cette nouvelle étape passe inaperçue pour l’instant, les pratiques observées s’étant toutes construites sur des bases semi-illégales antérieures à 2009. La différence entre ces deux contraintes reste significative, pour plusieurs raisons.

Dans les faits, la contrainte de prix maîtrisés peut être écrite ou non écrite. Le cas général est la contrainte non écrite et néanmoins connue de tous. Cependant de nombreux documents en portent la trace explicite. Des délibérations de conseils municipaux, peuvent par exemple stipuler ce genre de contraintes. Dans ces documents, on ne les trouve pas de façon isolée mais toujours adossées à des dispositifs légaux, règlementaires et/ou opérationnels, comme le Pass-Foncier, le PSLA, les zones ANRU, éventuellement des ZAC, des mises à disposition de terrain communal, ou encore une politique de compensation de la surcharge foncière. Cet ensemble de dispositions suffit généralement à étayer une politique de quotas de prix maîtrisés sur tous les programmes.

Ensuite, on peut trouver ce genre de contraintes dans des documents particuliers, que l’on qualifiera de « chartes de l’habitat », du nom qu’on leur donne en Seine-Saint-Denis. Ces chartes n’ont pas de valeur juridique et n’ont pas une existence sociale très manifeste. Ce sont les promoteurs qui  en ont révélé l’existence à l’auteur de l’étude. Sans que cela soit certain, leur existence est probablement limitée à l’Ile de France. Elles sont caractéristiques de l’ancienne banlieue rouge et de la conception volontariste du pouvoir qu’on y trouve encore chez les élus. C’est un territoire qui est assis sur un foncier à très fort potentiel, puisque très proche de Paris mais disposant de réserves foncières importantes (dents creuses, friches industrielles). Ces terrains, pour beaucoup encore hors marché dans les années 1990, ont été propulsés sur le marché par l’explosion des valeurs foncières. La période haussière a vu les promoteurs se bousculer au portillon, les perspectives de forte plus value immobilière étant au coin de la rue et aux portes de Paris. Les élus, un peu décontenancés, ont profité de cette forte attractivité de leur territoire pour imposer leurs conditions sans que personne n’y trouve à redire. Ces chartes sont imposées unilatéralement par la municipalité à tout promoteur désireux de travailler sur le territoire communal.

Comment se présente une convention de ce type ? Guilhem Dupuy prend l’exemple de la convention de Saint-Ouen. Il s’agit d’un document de trois pages, ratifié par le promoteur, à qui la mairie n’adresse pas d’exemplaire contresigné, à la différence d’une convention de droit commun, pour ne pas laisser de trace, en quelque sorte. Cette convention est passée lors de la préparation d’un projet immobilier, dans le cadre d’une prise de contact préalable. Dans ce document, on trouve beaucoup de déclarations de principe sur l’insertion dans l’environnement urbain, etc., ainsi que quelques détails intéressants : « ce projet devra comporter au moins 65% de F3, F4, F5 » ou encore « la société signataire de la présente convention s’engage à fournir à la ville, la réalité des prix de vente de chacun des logements et les éléments d’information d’ordre sociologique concernant les acquéreurs », exemples des objectifs politiques cités plus haut. Mais surtout :

« la société signataire de la présente convention se conformera au dispositif d’encadrement mis au point avec la ville : sur la base d’une connaissance fine des prix du marché par quartier, obtenue notamment par le croisement des études effectuées d’une part par les promoteurs et d’autre part, par les services de la ville concernée, les prix de sortie des opérations en accession à la propriété seront diminués de 10 %. Dans cette opération, le prix de sortie prévisionnel était fixé à 3 500 TTC/ m². »

Ces chartes n’ont pas de valeur juridique, mais une valeur monopolistique, elles sont une parfaite illustration du processus de pression-négociation au permis de construire. Elles sont une réponse directe au diagnostic fait par les élus de la nécessité d’endiguer les prix de l’immobilier dans un marché devenu instable au début des années 2000. Les promoteurs rencontrés en Ile de France semblent beaucoup plus circonspects que leurs collègues provinciaux quant à l’efficacité d’une politique d’accession aidée. Dans un marché tendu comme celui de l’Ile de France, une politique qui consiste essentiellement à contrôler une faible partie du marché pour y faire baisser les prix n’a, contrairement à ce que pensent les maires, aucun effet sur les déterminants réels des prix immobiliers. C’est également l’avis qu’exprime un économiste du foncier : « Les maires ont de toute façon un raisonnement très naïf sur les prix maitrisés : ils s’imaginent que proposer des logements aux prix en dessous du marché permet de faire baisser les prix. C’est faux. Ca ne modifie en rien la valeur des biens. Ça fera quelques heureux, tout au plus. ». Les exemples ne manquent pas qui confortent ce discours.

L’exemple de Saint-Germain-en-Laye est cité. Selon un promoteur, les heureux élus accédants étaient pour l’essentiel de jeunes consultants ayant terminé leurs études un ou deux ans auparavant…..Mais il y a pire, beaucoup de promoteurs rapportent que, notamment en Seine-Saint-Denis : « un promoteur a obtenu un terrain communal en échange d’un programme à prix maîtrisés. Résultat, tous les cadres de la boîte y ont acheté et en ont fait du locatif. Inutile d’y inclure une clause anti-spéculative qui contrôle la revente puisque rien n’a été revendu ! ». Ou encore « On s’est retrouvé par exemple avec des immeubles où 9 acquéreurs sur 10 étaient des cadres de l’entreprise de promotion. Les exemples seraient fréquents. »

Le fait marquant est le décalage constaté entre les résultats souhaités et les résultats objectifs d’une politique de cet ordre. Ce qui, est presque toujours vrai, est le fait que les logements à prix maîtrisés sont rares et ne profitent donc qu’aux « initiés », ceux qui auront obtenu à temps l’information. Quand ce ne sont pas les cadres qui ont monté l’opération immobilière. Le maire prenant soin que lesdits initiés, soient des administrés méritants. Cette pratique, dite de  « préférence communale », est évidemment strictement illégale, mais dans ce modèle stratégique où la variable cruciale est le temps, un simple jeu sur les délais permet de distribuer l’information de façon sélective et de faire jouer la préférence communale sans s’exposer à une assignation pour refus de vente, puisqu’il n’y plus rien à vendre. Les moyens de cette rétention sont simples : l’information sur les projets en cours sur le point d’être pré-commercialisés se limite à la parution d’annonces pendant 15 jours dans le bulletin municipal, dont la lecture n’excède guère le territoire communal. Au final, quand le projet est mis officiellement en vente, une part majoritaire des logements est déjà réservée, essentiellement par des habitants de la commune. Les promoteurs, quant à eux, y voient un moyen efficace de régler le problème parfois épineux de la commercialisation.

L’étude de ANIL HABITAT ACTUALITE se poursuit sous l’angle des modèles locaux de négociation qui associent : propriétaire foncier, promoteur et maire. Nous aborderons cet aspect des choses dans une troisième partie.

 

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Contribution bibliographique :

Guilhem Dupuy, « Le maire, l’accession sociale et le promoteur »,  ANIL HABITAT ACTUALITE, Février 2010.

Olivier MORLET, « Les pratiques locales de la préemption », Etudes Foncières n°86, mars 1997,

Gilles GODFRIN, « Préempter, pour acquérir ou pour contrôler ? » Etudes Foncières n° 68, septembre 1995.

 


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F
<br /> <br /> Un bon ouvrage à offrir à Monsieur  le Maire de Noisy le Grand. « Le projet urbain participatif – apprendre à faire la ville avec ses habitants »- Philippe Verdier, édition Yves Michel, 2009, 264 pages, 24,50 €.<br /> <br /> <br /> Dépasser la simple pédagogie est sans doute la seule façon, aujourd’hui, de parvenir à faire émerger des projets urbains par la<br /> population. Amener les citoyens à travailler ensemble n’est toutefois ni naturel ni simple. Que la participation soit créatrice et ne débouche pas sur des oppositions stériles, suppose des méthodes.<br /> Travail en amont sur les savoirs partagés, sur l’approbation par chacun des différents points de vue ; travail, ensuite, sur la perception des espaces et la construction des bases autour<br /> desquelles élaborer le projet ; travail enfin, sur la discussion et la constitution d’un projet.<br /> <br /> <br /> Sans angélisme, le livre balaye les fondements théoriques, relate les expériences, revient sur les échecs de ces approches, et<br /> ouvre surtout des pistes pratiques. Il fournit un cadre utile pour s’interroger sur l’intérêt et les moyens d’une participation<br /> réussie.<br /> <br /> <br /> Et oui, il existe d’autres méthodes, si Yves Michel pouvait être entendu !!!!………..<br /> <br /> <br /> <br />
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