Le maire, l'accession sociale et le promoteur (1)
LE MAIRE,
L’ACCESSION SOCIALE
ET LE PROMOTEUR
Première partie
Préambule
Les collectivités locales sont de plus en plus impliquées dans la politique du logement. Alors que l’essentiel de leur effort était autrefois tourné vers le locatif social ou des interventions de nature très sociales ciblées sur des populations spécifiques. Elles élargissent aujourd’hui leur champ d’intervention à l’ensemble du secteur du logement et notamment à l’accession à la propriété.
Les outils dont elles disposent peuvent être, entres autres, les règles d’urbanisme et tous les moyens qui permettent de peser sur l’usage du sol et le droit de construire. Comment les collectivités locales procèdent-elles concrètement, notamment dans leurs relations avec les promoteurs, pour jouer de ce registre ?
Pour y voir plus clair, l’Agence Nationale pour l’Information sur le Logement (ANIL) a proposé à un jeune chercheur, Guilhem Dupuy, d’étudier en toute indépendance cette question. Nombre de partenaires de l’ANIL lui ont apporté leur appui.
Cette étude décrit les objectifs des politiques locales d’encadrement de l’activité privée de création de logements, et analyse les moyens mobilisés pour servir ces objectifs. Elle montre que ces objectifs sont en nombre réduit et participent généralement d’une politique de stabilisation de l’électorat sur le territoire de la commune : logement locatif social et accession sociale sont ainsi prioritairement pensés dans cette optique par les collectivités.
Ce travail nous a paru extrêmement intéressant pour que nous puissions le porter partiellement à la connaissance des lecteurs du blog de l’ADIHBH-V, compte tenu de ce que nous constatons par ailleurs.
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Le cadre réglementaire des politiques locales du logement ne peut être compris qu’en analysant les pratiques hors droit des collectivités. Pratiques légales et illégales sont, en général, inextricables. Cet ensemble permet de mener une politique plus discrétionnaire que ne le permettrait le droit, dans un univers d’information limitée où l’appréciation au cas par cas s’avère parfois nécessaire.
C’est ainsi que, notamment en conséquence de la phase de hausse des prix immobiliers de 1997-2007, au cours de la décennie des années 2000, se sont développées de nouvelles pratiques d’encadrement de la création privée de logements ; de même que les modèles de concertation et de négociation entre élus et professionnels du logement, notamment les promoteurs, ont évolué.
Dans le même temps, les outils réglementaires à la disposition des maires se sont étoffés. Depuis 2007, l’octroi d’une aide par une collectivité déclenche la majoration du Prêt à Taux Zéro (PTZ) et le Pass-Foncier®, ce qui lui confère un puissant effet de levier. Le Pass-Foncier® lui-même a pris une certaine importance conjoncturelle en 2009 avec le remboursement par l’Etat d’une partie de l’aide accordée par les collectivités.
Subsiste cependant un problème. La compétence générale d’une commune sur le plan de l’urbanisme et du logement reste un pouvoir d’administration de l’usage des sols. D’aucuns disent : un pouvoir de dire non. Pouvoir d’ailleurs absolu, puisque c’est la commune qui dans tous les cas délivre les permis de construire sur son territoire. Cette différence entre droit et pratique, n’est que rarement abordé dans la littérature. Pourtant, dans les faits, la différence entre urbanisme réglementaire et urbanisme opérationnel est ténue. A l’instar de la démarche contractuelle, la démarche réglementaire, en particulier à l’échelle locale, s’insère toujours dans un réseau d’acteurs publics et privés, c’est-à-dire un certain état des relations de pouvoir, au sein duquel elle est élaborée. Autrement dit, on ne peut rendre compte de l’activité d’urbanisme réglementaire d’une commune qu’en analysant les pratiques de concertation et de négociation qui se pratiquent au sein de ce réseau.
La nécessité de cette analyse pratique s’impose d’autant plus que le discours d’une partie des promoteurs a commencé ces dernières années à faire état d’une abondance de pratiques locales d’urbanisme peu soucieuses de légalité, comme le « chantage au permis de construire », rendant difficile, voire impossible, l’exercice normal de la profession. En quelque sorte, d’après ce discours, l’instruction du permis de construire ne se réfèrerait au PLU que selon le bon vouloir des autorités, alors qu’en droit cette instruction consiste simplement à vérifier la compatibilité du permis de construire au PLU. La délivrance du permis de construire est en droit une compétence liée de la commune, elle ne peut faire l’objet d’une décision d’opportunité, d’un choix stratégique.
En pratique pourtant, il semble qu’il en aille tout autrement. D’une façon générale, toujours selon ce même discours, la prise en main de la politique de l’habitat par les communes se traduirait par un transfert du coût de cette politique sur les agents privés, en particulier les acheteurs : moins coûteuse pour la commune qu’une politique active de coproduction et cofinancement de logements, une politique passive de l’habitat consiste à imposer à travers des règles, légales ou illégales, des conditions sur les programmes privés de logement afin de satisfaire certains objectifs (formes urbaines, mixité sociale, accessions à prix maîtrisés…). Le coût de cette politique est ainsi transféré sur le bilan des promoteurs, eux-mêmes contraints d’en transférer la plus grande partie sur leurs prix de vente. Ces politiques peuvent avoir des effets indésirables, comme une tendance à la hausse des prix, lorsqu’elles ne se développent pas dans un cadre de concertation approprié. D’une façon générale, elles sont vouées à l’échec si elles génèrent des opérations où le gain net n’est pas positif pour au moins une des parties engagées dans l’opération (promoteur, collectivité, propriétaire foncier). Ajoutons à cela l’insécurité juridique et économique résultant d’une règle fluctuante et imprévisible, puisque non écrite, et les perspectives deviennent particulièrement sombres.
Ces constats appellent à une série de questions :
- Comment caractériser les politiques réglementaires du logement des collectivités locales ?
- L’administration de l’activité privée de construction sur le territoire de la commune dépasse-t-elle effectivement le cadre du droit de l’urbanisme ? Dans quelle mesure ? Sur quels points ? Pour quelles raisons et pour quels objectifs ?
- Quel est l’impact de cette politique sur les activités de construction ? En premier lieu, comment la concertation entre autorités publiques et professionnels du logement est-elle organisée ? Sur quels compromis débouche-t-elle ?
- Ensuite, quels sont les effets économiques de cette politique ? Sur qui et comment est-elle répercutée ? Comment réagissent les promoteurs ? Dans quelle mesure modèle-t-elle le marché de l’immobilier ?
Selon Guilhem Dupuy, cette étude se limite à la dimension qualitative. La difficulté du sujet abordé et le manque de littérature sur la question plaidaient pour une première approche exploratoire dont le but est davantage de décrypter les véritables enjeux de la question que de fournir des analyses poussées au plan quantitatif et économique.
Dans une deuxième partie, nous exposerons quelques sujets singuliers d’actualités (objectifs de maîtrise foncière, les modèles locaux de négociation, la relation triangulaire propriétaire foncier-promoteur-maire, l’ordre de grandeur des postes de dépenses dans le montage d’une opération (marge brute, marge nette des promoteurs), les discours contradictoires sur le rôle social des promoteurs,…), laissant au lecteur la découverte de l’intégralité de la richesse de cette étude.
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Contribution bibliographique : ANIL HABITAT ACTUALITE, Février 2010. Le maire, l’accession sociale et le promoteur. La négociation entre élus locaux et promoteurs : une analyse stratégique. Guilhem Dupuy.