LE MAIRE,
L’ACCESSION SOCIALE
ET LE PROMOTEUR
Troisième partie, fin.
Une relation triangulaire : propriétaire foncier, promoteur et maire.
Le montage d’une opération immobilière s’inscrit toujours dans le cadre local qui associe propriétaire foncier, promoteur et maire.
La condition générale de la négociation est qu’il ne peut y avoir aucun perdant. Les trois parties en présence doivent trouver un intérêt au projet qui se monte.
- La rationalité du promoteur est d’aboutir à un projet vendable au prix estimé lors du montage, prix permettant une marge satisfaisante au regard du coût estimé du projet. Quand le taux de pré-commercialisation dépasse un certain seuil, la construction est lancée.
- La rationalité du maire est d’obtenir un maximum d’avantages de l’opération qui se monte, tout en y investissant un minimum de moyens. Ces avantages attendus peuvent être financiers (participation aux équipements,….) ou en nature (intégration paysagère, réalisation d’équipements…). L’intérêt du maire est que le montant de la charge foncière négociée entre promoteur et propriétaire foncier ne crée pas de référence plus élevée qu’antérieurement.
- La rationalité du propriétaire foncier est de maximiser la rente foncière, c'est-à-dire la différence entre le prix de vente du terrain et le prix auquel il l’a acheté ou obtenu. Si le terrain a déjà une « valeur d’usage », il faut de surcroît que le prix de vente soit supérieur ou égal à la valeur d’usage actualisée.
A partir de là, selon les dires des promoteurs, le reste est une affaire de «dialogue singulier», de « cuisine », de « salade », de « négociation tenace ». Les négociations débutent toujours en amont du projet. Elles ne sont évidemment pas trilatérales, mais bilatérales [1] : le promoteur prend contact simultanément avec la municipalité et avec le propriétaire foncier.
Avec ce dernier, il négocie le prix de vente en fonction de la constructibilité attendue du terrain. Le mécanisme du compte à rebours du promoteur fait que le prix de vente du terrain n’est pas une donnée a priori, mais a posteriori du calcul économique. C’est une fois connus les prix de vente et la constructibilité du terrain que le promoteur peut chiffrer la charge foncière acceptable, c'est-à-dire le prix maximum qu’il peut payer pour le terrain associé au projet. Promoteur et propriétaire [2] ont intérêt à une densité la plus forte possible ; la version la moins dense entraînant généralement un prix qui ne satisfait pas le propriétaire [2]. Ainsi, beaucoup de modifications mineures interviennent pour rendre les documents d’urbanismes compatibles (POS-PLU) avec les opérations souhaitées par les élus mais aussi par les promoteurs, qui en font assez fréquemment directement la demande pour permettre certains projets immobiliers. On retiendra d’une façon générale que, dès lors que la nécessité s’en fait sentir, il n’est pas si complexe d’élaborer des stratégies gagnant-gagnant entre promoteurs et collectivités, pour peu que l’on se positionne à un niveau de gouvernance approprié.
Cependant, il est aussi assez courant que le maire traite directement avec le propriétaire foncier et pèse sur la formation du prix en engageant (ou faisant mine d’engager) une procédure de préemption, dans un objectif de maîtrise foncière.
Des discours contradictoires sur le rôle social du promoteur !
Guilhem Dupuy décrit tout au long de ce chapitre, les comportements des promoteurs qui ne sont pas les mêmes selon que l’on a affaire à un groupe national ou à un indépendant local. Les opinions exprimées ne sont pas particulièrement convergentes non plus. Cependant, on peut assez clairement mettre en lumière deux grands types de discours.
D’une part, le discours « syndicaliste » ; son but est de condenser les problèmes qu’il rencontre sur le terrain afin d’en donner une vision qui interpelle de façon suffisamment percutante les autorités. Ce discours est bien rodé sur la question des contraintes locales. Celles-ci, selon lui, ont plusieurs défauts :
- d’une part elles sont illégales quand elles ne sont pas posées dans un cadre contractuel avec contreparties ;
- d’autre part elles sont moralement injustes, puisqu’elles reviennent à faire financer une partie des politiques locales de l’habitat par l’acquéreur final, victime d’une péréquation qui renchérit le prix de la part des logements construits non soumis à des contraintes particulières. Il ressort de tout cela que le rôle social du promoteur, est neutre. Le promoteur doit construire des logements et les vendre à ses conditions, qui sont les conditions du marché.
D’autre part, le discours « loyaliste » qui correspond au point de vue (affiché) de nombreux promoteurs, nationaux comme locaux. C’est un discours qui a de vraies conséquences pratiques. Il est défendu par certains groupes sur la scène médiatique, comme Nexity par exemple, qui travaille beaucoup à son image de promoteur social, destiné notamment à jouer un rôle dans l’amélioration de la mixité sociale. Mais on retrouve souvent ce discours au niveau local. Crise aidant, les promoteurs défendent souvent les politiques locales de modération des prix, qui rapprochent le marché du bloc de demande et permettent de maintenir un dynamisme des ventes dans un contexte peu favorable.
On voit ainsi comment fonctionnent les deux argumentaires principaux des promoteurs. Ces discours ne nous renseignent pas outre mesure sur la réalité des pratiques, mais ont invité l’auteur de l’étude à investiguer plus avant. Par exemple :
La réalité des stratégies d’imputation des promoteurs
Cette approche devra répondre de façon concrète à la question : sur qui porte effectivement le coût des politiques publiques de l’habitat ?
En ce qui concerne le montage d’opérations immobilières et les ordres de grandeur des postes de dépenses, l’article de référence de ce paragraphe est l’excellente synthèse d’Arnaud Bouteille. Elle est représentative des descriptions obtenues des promoteurs rencontrés par ailleurs par l’auteur. Les étapes du montage d’une opération sont les suivantes :
- prospection foncière et réalisation d’études ; acquisition d’un terrain sous conditions suspensives dans le cadre du jeu triangulaire : propriétaire foncier, promoteur, maire,
- dépôt du permis de construire,
- purge du permis de construire [3],
- pré-commercialisation : Vente en l’Etat Futur d’Achèvement (VEFA),
-lancement de la construction lorsque le taux de réservation dépasse un certain seuil (usuellement de 40 à 60%),
- vente effective et livraison des logements.
Les ordres de grandeur des postes de dépenses dans le bilan du promoteur s’établissent comme suit :
- marge brute : 30 % du chiffre d’affaires, dans laquelle sont compris les frais financiers, les coûts de commercialisation, les coûts de structure (salaires, études…), et la marge nette (environ 10% avec variance élevée),
- coûts de construction : 40 à 50 % en moyenne du chiffre d’affaires,
charge foncière : fonction du « compte à rebours », donc résiduelle. En moyenne 30% du chiffre d’affaires, avec variance élevée.
La connaissance de ces ordres de grandeurs permet de se faire une première idée des principaux leviers dont dispose le promoteur pour faire varier ses coûts. Tout le problème consiste à déterminer quels sont les postes qui peuvent varier, dans quelles proportions, et pourquoi.
Une application de la théorie de l’incidence fiscale
Pour comprendre la façon dont les promoteurs peuvent imputer le surcoût lié aux pratiques locales d’encadrement des programmes privés, Guilhem Dupuy s’inspire de la théorie de l’incidence fiscale.
Cette théorie est fondée sur l’hypothèse d’un fonctionnement pur des marchés. Or, en matière d’immobilier, les marchés sont rarement purs, voire ne sont simplement pas des marchés.
Le Chercheur considère schématiquement qu’une contrainte formulée par une collectivité locale sur un programme privé (places de parking, quota de logements sociaux ou de logements à prix maîtrisés, grands logements…) représente un surcoût (d’où l’analogie avec des taxes). Surcoût soit directement, comme la construction de places de parking supplémentaires, soit indirectement s’il s’agit d’un manque à gagner par rapport à un prix de vente espéré. On peut donc assimiler ces contraintes à des taxes.
Quand on examine le bilan, et qu’on compile les dires des promoteurs, Guilhem Dupuy s’aperçoit qu’il existe un nombre limitatif de postes susceptibles de varier. Ces postes sont au nombre de trois :
- la marge nette,
- la charge foncière,
- le chiffre d’affaires global, c’est-à-dire les prix de sortie,
Voyons comment le bilan promoteur s’équilibre en présence de surcoûts liés aux contraintes publiques, mais en l’absence de contreparties directes que sont les subventions publiques.
La réalité sur la question n’a rien de simple.
Un fait général est qu’en pratique, les promoteurs ne supportent jamais réellement le surcoût lié aux politiques locales d’encadrement des activités privées. Même le discours le plus dur contre ces pratiques explique que les quotas de logements sur programmes privés déclenchent un mécanisme de péréquation entre part de logement social et part de logement libre qui revient simplement à subventionner le manque à gagner du logement social par une augmentation du prix du logement libre. C’est donc sur l’acheteur final non aidé que pèse le coût des politiques locales du logement. Le promoteur n’est alors qu’une courroie de transmission, un fantôme de l’incidence.
Suit un long développement dont il convient de distinguer deux cas, selon que la règle locale imposée est négociée ou affichée. Nous laissons au lecteur intéressé le soin d’appréhender cet aspect des choses en lisant le rapport.
la question de la charge foncière
Une approche intéressante a été développée par Thierry Vilmin pour le cas des aménageurs. Dans le modèle des règles négociées, le propriétaire foncier est en position de faiblesse, puisqu’il est sous le coup d’une importante déficience d’information concernant la constructibilité de son terrain, qui n’est pas connue à priori. L’effet général sera donc une position de force des aménageurs pour négocier à leur prix la charge foncière. Donc en théorie, si on applique au promoteur-aménageur ordinaire, le surcoût éventuel suscité par une politique locale de quotas ; ce surcoût sera compensé par un report sur la charge foncière (comprenons, une diminution du prix d’achat du terrain). Cette charge foncière étant la valeur résiduelle du bilan du promoteur qui est déterminée par soustraction, une fois que les autres postes de dépenses et de recettes sont déterminés.
Qu’en est-il en pratique. Curieusement, les promoteurs ne voient pas les choses de cette façon, puisque certains affirment l’impossibilité du report de ce surcoût sur la charge foncière. Ils sont toutefois loin d’être unanimes sur la question. Si le promoteur tient d’une façon générale un discours du type « syndicaliste », il prétendra vraisemblablement que le report sur la charge foncière est impossible. S’il tient un discours du type « loyaliste », il prétendra que le report sur la charge foncière peut s’effectuer de façon significative. Aussi, on est nettement plus enclin à croire les seconds que les premiers, d’autant que les seconds représentent une très nette majorité de l’échantillon des promoteurs rencontrés.
En revanche, ce qui est vrai dans tous les cas, est l’extrême complexité du fonctionnement du marché foncier. Tous les promoteurs s’accordent sur ce point. Le marché foncier ne naît pas de la rencontre de l’offre et de la demande. L’attitude spontanée du propriétaire est de ne pas vendre. C’est ce qu’on appelle la rétention foncière, liée à l’effet de cliquet qui domine les comportements. C'est-à-dire que lorsqu’un prix est fixé en phase d’approche, il fait figure de référence (par exemple : prix auquel le voisin a vendu il y a 3 ans, prix d’un promoteur national menant une stratégie agressive d’insertion sur la ville), il sera alors très difficile de renégocier un prix à la baisse.
Lorsque le propriétaire a le temps pour lui, en dehors des cas de vente forcée, pour cause d’événement de la vie, où le propriétaire doit vendre rapidement, donc aux conditions posées par les promoteurs, la vente peut se faire, dans une certaine mesure, sur la base d’une charge foncière tenant compte des contraintes de constructibilité pesant sur le terrain.
Guilhem Dupuy rappelle que le propriétaire foncier est en quelque sorte la victime idéale de ces nouvelles pratiques de concertation entre collectivités et promoteurs. Les deux groupes d’acteurs s’accordent en effet sur un point crucial : la rente foncière selon eux, est parfaitement injustifié. On entend souvent dans la bouche des promoteurs comme des collectivités l’expression « enrichissement sans cause ». Du point de vue de la collectivité, le propriétaire foncier n’est rien d’autre qu’un oisif qui récupère de façon indue l’argent du contribuable. Sans rien faire, il encaisse en effet la plus value foncière qui résulte de l’augmentation des équipements collectifs, l’amélioration du cadre de vie, autour de son terrain : cette plus value foncière est financée par la collectivité et tombe dans l’escarcelle des propriétaires fonciers. D’une façon plus générale, d’un point de vue économique, le propriétaire foncier « hérite » directement de la conjoncture immobilière sans qu’il n’en soit aucunement responsable. L’intérêt des promoteurs comme des collectivités converge donc sur ce point : il faut faire reposer le coût des politiques locales de l’habitat sur une captation de cette rente foncière.
Cette étude suggère que la meilleure coalition des rapports de force est celle qui reporte le financement des politiques d’encadrement de la création privée de logement sur le propriétaire foncier, dont la rente est celle qui se justifie le moins pour les raisons que nous avons vues. La captation de la plus value foncière [4] est une vieille question d’économie foncière, elle demeure cependant d’une actualité brûlante.
En conclusion, même si ici l’étude de l’ANIL est volontairement simplifiée dans sa présentation en trois parties, elle dégage suffisamment de lignes directrices pour savoir au détriment de qui s’établissent les rapports de force, entre les différents opérateurs locaux.
Pour une analyse plus poussée, compte tenu de la difficulté du sujet abordé, nous recommandons la lecture intégrale du rapport de Guilhem Dupuy, en cliquant sur Etude ANIL : Le maire, l’accession sociale et le promoteur.
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Commentaires ADIHBH-V :
[1] En vertu du vieux principe : diviser pour régner !
[2] Dans l’exemple de l’aménagement d’une ZAC, le propriétaire peut aussi être la Municipalité qui a acquis du foncier par préemption, et qui va le revendre au promoteur,
[2] Le permis de construire n’a économiquement de sens que s’il est « purgé », c'est-à-dire débarrassé des recours de tiers qui ne manquent pas de survenir lors de son dépôt en Mairie,
[4] On pourrait raisonnablement ce poser la question de savoir, s’il ne s’agit pas ici tout simplement, d’une spoliation des propriétaires fonciers !
Contribution bibliographique :
- Arnaud BOUTEILLE, Opérateur privés du logement neuf, Etudes Foncières n° 140, juillet-août 2009,
- Thierry VILMIN, L’aménagement urbain en France, Edition du Certu, 2008.