Quel avenir pour nos quartiers ?
LA POLITIQUE URBAINE
PEUT-ELLE REMPLACER
LA POLITIQUE SOCIALE ?
La rénovation urbaine de Noisy le Grand est en marche, dit Michel Pajon dans le dernier Noisy mag d’avril 2010. Nous allons enfin pouvoir corriger certaines erreurs d’urbanisme de la Ville Nouvelle, en réintégrant les habitants au cœur de leur quartier, et les quartiers au cœur de la cité.
Toutefois, selon un rapport publié dernièrement par le Comité d’évaluation et de suivi de l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (CES/ANRU), en cinq ans, le Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU) n’aurait pas atteint tous les objectifs fixés.
Aussi, Philippe Vignaud, Architecte-Urbaniste, jette un regard très critique sur la rénovation urbaine, qui « laisse les ghettos se reconstituer ».
ENTRETIEN
Philippe Vignaud, auteur de l’ouvrage « La ville ou le chaos » (Editions Non lieu, 2008), s’interroge sur la politique de la ville menée dans notre pays depuis plusieurs dizaines d’années. En 2008, il est devenu rapporteur du Conseil de développement durable de la Seine-Saint-Denis.
Q-Vous êtes critique sur le travail de l’ANRU. Pourquoi ?
Philippe Vignaud. L’urbain ne peut pas tout. Ce qui est cassé dans le champ social ne peut pas être réparé dans celui de l’urbain. On ne remplacera pas la formation et l’accès à l’emploi par une forme urbaine, par des HLM repeintes ou restructurées, ou, dans le meilleur des cas, par du développement durable. L’ANRU a laissé le ghetto urbain, social et ethnique, se reconstituer sur lui-même. Dans le meilleur des cas, à savoir quand elle va au bout de ses projets, ce qui est la moindre des choses, l’ANRU n’a fait qu’accompagner ce phénomène. Il y a un pan de la société française qui est complètement en dehors du champ du travail. C’est là qu’est le fond du problème. Ces quartiers, à l’origine, représentaient une valeur : parce qu’ils étaient neufs, parce que leurs populations avaient du travail, parce qu’il y existait une certaine mixité sociale. Ca fonctionnait plutôt bien. Avec la crise, ils se sont enfoncés dans le gouffre ou ils se trouvent maintenant. Laisser accroire l’idée qu’on pourrait remplacer une politique sociale (formation, emploi, santé…) uniquement par une politique urbaine est un leurre profond, absolu.
Q-N’y a-t-il rien à sauver de cette politique urbaine ?
Philippe Vignaud. Elle ne fonctionne que pour les petits quartiers, en province. Une barre est démolie, on fait un peu d’espace public, et s’il y a un élu courageux, il joue sur la carte scolaire, et on y arrive. C’est autre chose quand on est face à des quartiers de plus de 10.000 habitants, parfois 20.000, comme au Val Fourré à Mantes, à Aulnay ou à Sevran. Là, il est impossible de mutualiser avec ce qu’il y a autour. Les quartiers, qui avaient de la valeur à l’origine, n’ont aujourd’hui que des coûts, urbains, sociaux… Une détestation collective s’installe. Et la politique urbaine est en échec.
Q-Quelles sont les solutions pour ces quartiers, selon vous ?
Philippe Vignaud. Il faut penser totalement autre chose. Il va falloir refonder ces territoires urbains en amenant autre chose que du logement social. Et il est impossible d’y parvenir sans renforcer la loi SRU, de manière coercitive et puissante, afin de construire ailleurs. C’est indispensable pour qu’on puisse féconder ces territoires différemment avec des activités, avec des logements d’une autre nature, des équipements de grande dimension, de type hôpital ou de ce genre. Il faut modifier complètement notre regard sur les quartiers.
Q-Avez-vous une expérience personnelle de cette démarche ?
Philippe Vignaud. J’ai travaillé sur une vingtaine de dossiers ANRU. A chaque fois qu’on a proposé de faire baisser la pression de la grande pauvreté dans les quartiers, toutes les raisons sont bonnes pour qu’in fine, on reconstitue le ghetto sur lui-même. La question doit être posée au niveau de la nation. Le problème, c’est que l’Etat, au plus haut niveau, cherche à nous dissuader de le faire. Comment croire, après le discours de Dakar et l’épouvantable débat sur l’identité nationale, qu’on veuille accueillir les populations d’origine immigrée ? A ces discours s’ajoutent l’échec de la politique de la ville et la mise sous tutelle policière de ces quartiers. On ne s’en sortira pas comme ça.
- Entretien réalisé par Dany Stive
- http://www.humanite.fr/La-politique-urbaine-ne-peut-remplacer-la-politique-sociale
COMMENTAIRE
Une série de chantiers étalés jusqu’en 2013 sur le Pavé Neuf vont réhabiliter les bâtiments dégradés, redresser des copropriétés en difficultés, rénover les parkings. Ainsi, le quartier devrait être désenclavé, le cadre de vie et la sécurité améliorée avec les 80 millions d’euros que la ville a pu mobiliser. Nous ne pouvons que nous satisfaire de cette issue. Néanmoins, si nous lisons bien Philippe Vignaud, ce n’est pas encore gagné !
De plus, lorsque Michel Pajon parle de corriger certaines erreurs d’urbanisme de la Ville Nouvelle de 1970, en réintégrant les habitants au cœur de leur quartier, alors qu’il s’escrime, maintenant encore, à vouloir raser les 9,3ha du quartier des Bas Heurts en externalisant les habitants historiques. Avouons que ce n’est pas la bonne idée pour restaurer du lien social au cœur du quartier et stimuler la responsabilité collective!
Quant à corriger les erreurs du passé, en construisant de nouvelles Cités de 1200 et 1500 logements (3500 à 5000 habitants), sur Noisy le Grand, nous ne voyons pas très bien comment nous pourrons éradiquer l’incivilité et l’insécurité sur la ville.