Préemptions...
JE PREEMPTE,
TU PREEMPTES,
IL PREEMPTE...
L’étude de l’ANIL HABITAT ACTUALITE de février 2010, nous avait montré, selon le chercheur Guilhem Dupuy, que les élus ne se cachent pas d’exercer leur droit de préemption urbain souvent en dehors du cadre strictement légal, pour un motif de régulation des prix du foncier, qui n’est pas un motif valable selon la jurisprudence, puisque le droit de préemption ne peut s’exercer qu’au service d’un projet existant et en lien direct avec celui-ci.
Toutefois, les municipalités cherchent à contourner l’exigence légale de motiver le droit de préemption en fournissant des motifs vagues, du reste assez fréquemment cassés par les juridictions administratives.
A la lumière des arrêts « Commune de Meung-sur-Loire » n° 288371 en date du 07 mars 2008 et « Noisy le Grand » n° 316961 en date du 20 novembre 2009, le Conseil de l’ADIHBH-V a aimablement bien voulu nous livrer son expertise sur ces affaires, qu’il en soit remercié.
Commentaire de la décision du Conseil d’Etat du 20 novembre 2009, n°316961, Commune de Noisy-Le-Grand [*]
Le Conseil d'État a longtemps exigé la preuve par la commune d'un projet « suffisamment certain et précis » avant la date de la préemption, dont l’absence était sanctionnée pour défaut de motivation. Mais depuis son arrêt du 7 mars 2008 Commune de Meung-sur-Loire, les conditions de mise en œuvre du droit de préemption ont été assouplies.
L’arrêt Commune de Noisy-Le-Grand confirme cette position, et assouplit également sur la forme les conditions de motivation des décisions de préemption (1).
Néanmoins, cet arrêt précise que la commune qui préempte doit faire en sorte, que le projet d’aménagement, indiqué dans la décision ou dans les délibérations auxquelles elle se réfère, soit suffisamment déterminable (2).
1. L’assouplissement des conditions de motivation des décisions de préemption.
A/ Un assouplissement confirmé sur le fond.
L’arrêt du Conseil d’Etat du 20 novembre 2009 Commune de Noisy-Le-Grand confirme l’arrêt Commune de Meung-sur-Loire. L’exigence de motivation de la décision de préemption par « un projet d’action ou d’opération d’aménagement suffisamment précis et certain » est en effet abandonnée. L’arrêt de la Couradministrative d’appel de Versailles, qui avait repris cette exigence, est en conséquence annulé pour ce premier motif.
Les collectivités concernées peuvent désormais exercer le droit de préemption « si elles justifient à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement (…), alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date (…)».
Les caractéristiques du projet justifiant l’exercice du droit de préemption peuvent être imprécises, à la condition que ce projet existe et poursuive bien les objectifs d’intérêt général définis à l’article L.300-1 du code de l’urbanisme.
Il n’est donc plus obligatoire que le projet atteigne un certain degré d’avancement et que la décision fasse ressortir cet avancement par des précisions sur le calendrier ou l’envergure du projet (par exemple, le nombre et la surface en m² des logements sociaux projetés).
B/ Un assouplissement introduit sur la forme
La motivation peut prendre des formes différentes. Pour matérialiser son intention de préempter, la commune a le choix entre faire figurer la nature du projet dans sa décision, ou opter pour une motivation dite par référence.
En effet, la décision de préemption peut se référer à la délibération par laquelle la commune a adopté un programme local de l'habitat, comme c’est le cas dans l’arrêt du 20 novembre 2009.
Pour ce type de motivation, le Conseil d’Etat admet que la commune n’est pas obligée d’indiquer, dans le contenu de sa décision, l’action ou l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la préemption contribue.
Une modalité plus souple de motivation est ainsi introduite par l’arrêt Commune de Noisy-Le-Grand.
A l’inverse, les juges d’appel avaient estimé qu’en cas de référence à un programme local de l’habitat, la décision de préemption devait obligatoirement préciser à quelle action du programme local de l'habitat elle participait. En conséquence, la décision rendue en appel a été annulée par le Conseil d’Etat pour ce second motif.
Mais c’est le raisonnement de la Cour administrative d’appel qui a été remis en cause, et non le fait qu’elle ait décidé d’annuler la décision de préemption. Avant de conclure que la préemption était illégale, la Cour aurait d’abord dû examiner si elle pouvait être suffisamment motivée au regard du contenu du programme local d’habitat à laquelle elle renvoyait.
La manière de motiver une décision de préemption est donc conçue plus largement.
Toutefois, depuis l’arrêt Commune de Meung-sur-Loire, une commune doit justifier de la « réalité d’un projet d’aménagement ». L’arrêt Commune de Noisy-Le-Grand vient préciser cette exigence : ce projet doit être suffisamment déterminable.
2. Le contrôle de l'existence d'un projet suffisamment déterminable lors de l’exercice du droit de préemption.
Il ressort de la décision du Conseil d’Etat que le renvoi au programme local d’habitat doit permettre de déterminer avec suffisamment de précision la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité entend mener au moyen de cette préemption, compte tenu des caractéristiques du bien et de sa situation géographique.
En effet, il ne suffit pas, comme c’est le cas ici, que la décision de préemption mentionne le programme local de l'habitat et que le bien préempté se situe dans le secteur concerné par le PLH. Il est également nécessaire, que la consultation de ce programme permette de se faire une idée de l’utilisation qui sera faite du bien préempté.
Les quelques extraits du programme local de l'habitat cités dans la décision mentionnent les objectifs fixés dans le secteur de la Varenneoù se trouve le bien préempté. Cependant, ces objectifs, comme le « repositionnement de ce quartier dans l'armature urbaine d'ensemble », de façon à « reconsidérer le traitement des abords de la commune », sont trop vagues et ne permettent pas de déterminer la nature de l'opération d'aménagement envisagée. C’est le cas également de la participation « au maintien de la mixité urbaine », objectif mentionné directement dans la décision.
La consultation du programme local d’habitat lui-même, auquel renvoie la décision attaquée, ne permet pas non plus de déterminer la nature de l’opération d’aménagement, en ce qui concerne le secteur géographique de la Varenne.
L’examen du contenu de la décision ou du programme local d’habitat ne permettant pas de connaître le projet en prévision duquel la préemption avait été décidée, le Conseil d’Etat a donc annulé la décision du Maire de Noisy-Le-Grand pour insuffisance de motivation.
Par conséquent, qu’elle choisisse de mentionner explicitement dans sa décision tous les motifs de la préemption ou qu’elle opte pour une référence à un programme local de l'habitat, la commune est obligée de prendre sa décision en vue de la réalisation d'un objectif suffisamment précis qui doit pouvoir être identifié.
Maître Rajess RAMDENIE
Avocat à la Cour
Cabinet GRANGES-MARTIN-RAMDENIE
[*] Cliquer sur Commune de Noisy-le- Grand, requête n° 316961