Les "Villes Nouvelles" en question...
LES VILLES NOUVELLES :
UNE ERREUR A NE PAS
REPRODUIRE !
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Par Laurent CHALARD : Docteur en géographie de l’Université Paris IV-Sorbonne depuis 2008, ses travaux portent sur plusieurs thématiques : la géographie urbaine, la géographie de la population et la géographie politique. Son champ d’étude privilégié est la France, mais il travaille aussi sur d’autres pays européens et du reste du monde. Auteur ou co-auteur de plus de cent publications variées, son travail a été cité à plusieurs reprises dans la presse nationale : Le Monde, Le Figaro, Libération, Les Echos, Le Point, Direct-Matin, Politis, Sciences-Humaines… Dans le prolongement de ses recherches, il publie aussi des tribunes dans la presse, considérant que, par ses connaissances, le chercheur se doit d’intervenir dans le débat public.
Mises en place dans les années 1970, les villes nouvelles ont connu des parcours assez différenciés, certaines voyant leur caractère spécifique se terminer très rapidement, comme Val-de-Reuil ou Villeneuve-d’Ascq au milieu des années 1980, alors que d’autres conservent toujours leur statut en 2014 (Marne-la-Vallée, Sénart et la partie occidentale des Rives-de-l’Etang-de-Berre), l’opération d’aménagement étant toujours en cours. Il s’ensuit consécutivement des trajectoires démographiques dissemblables.
Leur période de croissance maximale se situe entre 1975 et 1990, la progression du nombre d’habitants se réduisant sensiblement depuis au fur et à mesure du temps. Cependant, à l’exception de Villeneuve-d’Ascq, dont la population a atteint un palier dès 1990, aucune ville nouvelle ne connaît une diminution de sa population jusqu’en 2006. Depuis cette dernière date, la situation s’est considérablement détériorée, puisque désormais quatre d’entre elles (Évry, Saint-Quentin-en-Yvelines, Rives-de-
l’Etang-de-Berre et Val-de-Reuil) voient leur population baisser, alors qu’une autre, L’Isle-d’Abeau, stagne.
Évolution de la population des villes nouvelles
Comment expliquer ce retournement démographique récent ? S’il est la conséquence logique d’un moindre taux de construction dans de nombreuses communes du fait de la fin de l’opération "ville nouvelle", il est aussi le révélateur d’un déficit migratoire considérable, témoignant de leur manque d’attractivité certain. Les jeunes qui sont nés et/ou ont grandi dans ces communes, une fois atteint l’âge adulte, les quittent massivement pour faire leurs études ou trouver du travail, car ils n’y trouvent pas toujours un mode d’habitat adéquat (ces villes ayant été avant tout pensées pour accueillir des familles avec enfants), ni les opportunités professionnelles souhaitées (leur marché de l’emploi étant trop spécialisé), mais aussi, car ils n’y ont pas un attachement marqué (sans forcément en avoir une mauvaise image), à cause de leur manque d’urbanité.
Leur urbanisme qui fait la part belle au zonage fonctionnel, totalement adapté à la voiture (les 2X2 voies sont monnaies courantes), en fait des "anti-villes", sans animation, d’autant qu’elles ne disposent pas, pour la plupart d’entre elles, d’un centre-ville digne de ce nom. Comme l’exprime un habitant de Champs-sur-Marne, "le soir, parfois on se sent un peu dans un coin perdu, paumé". D’autres résidents évoquent "l’ennui" et "le manque de charme" ("tout se ressemble"). La présence limitée de commerces de proximité ainsi que les temps de transports figurent parmi les autres éléments négatifs mentionnés.
En outre, leur surreprésentation en logements sociaux les rend répulsives pour les catégories sociales supérieures, qui pourtant y travaillent bien souvent (le cas d’Évry en constitue un exemple type). En conséquence, elles souffrent d’un processus d’évitement, source d’une paupérisation en cours avec des problèmes de sécurité, en particulier dans les quartiers d’habitat collectif les plus anciens, moins recherchés. Ce sont donc essentiellement des communes-dortoirs de grandes métropoles, qui n’offrent finalement ni les avantages de la ville, ni ceux de la campagne, le tout dans un cadre urbain pas toujours très engageant.
L’État français doit donc tirer la conclusion évidente de cette expérience malheureuse, en l’occurrence en prenant la décision de ne plus construire de villes ex nihilo, et donc de privilégier un développement urbain reposant sur des noyaux préexistants. En effet, il est probable que si ces villes nouvelles s’étaient appuyées sur (et non juxtaposées à) des urbanisations anciennes, telles que Melun, Corbeil-Essonnes, Bourgoin-Jallieu ou Pontoise, elles auraient pu disposer d’un centre-ville beaucoup plus attractif, à l’origine d’une urbanité plus importante, et conserver une autonomie réelle vis-à-vis des centres des métropoles.
Cependant, le mal est fait et nous ne pouvons pas revenir dessus. Par contre, à l’avenir, il faut à tout prix éviter de répéter la même erreur, comme cela semble malheureusement être le cas à travers la création d’immenses Eco quartiers au milieu des champs, comme sur le plateau de Saclay, un non-sens urbanistique complet. Il n’apparaît pas nécessaire de construire de nouvelles villes dans un pays qui possède de nombreuses villes existantes aux noyaux de centralité offrant des possibilités d’expansion.
Laurent CHALARD
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Toute notre gratitude à Messieurs Laurent CHALARD et Christian OLLIVIER du Cercle des ECHOS, pour nous avoir délivré l’autorisation de reproduire l’article publié dans le « Cercle des ECHOS », le 05/02/2014, soit : http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/politique-eco-conjoncture/territoires/221190395/villes-nouvelles-francaises-erreur- , sur le blog du Vrai Journal de Noisy-le-Grand, http://www.noisy-les-bas-heurts.com