Ecoquartiers franciliens, ghettos du futur ?
ECOQUARTIERS FRANCILIENS,
LES GHETTOS DU FUTUR !
Laurent CHALARD, est Docteur en Géographie de l’Université Paris IV-Sorbonne depuis 2008, ses travaux portent sur plusieurs thématiques : la géographie urbaine, la géographie de la population et la géographie politique. Son champ d’étude privilégié est la France, mais il travaille aussi sur d’autres pays européens et du reste du monde. Auteur ou co-auteur d’une soixantaine de publications, son travail a été cité à plusieurs reprises dans la presse nationale : Le Monde, Le Figaro, Les Echos, Le Point, Direct-Matin, Politis, Sciences-Humaines… Dans le prolongement de ses recherches, il publie aussi des tribunes dans la presse, considérant que, par ses connaissances, un chercheur se doit d’intervenir dans le débat public.
Laurent CHALARD est actuellement Consultant indépendant en aménagement du territoire, et collabore avec les collectivités territoriales, puisque son expertise lui permet d’accompagner ces dernières dans leur développement.
Il a eu l’amabilité d’autoriser l’ADIHBH-V à publier sur son blog sa tribune du 07 octobre 2012, dans Le FIGARO, intitulée : « Ecoquartier francilien, les ghettos du futur ». Nous lui adressons ici, l’expression de notre profonde gratitude.
Ecoquartier de la ZAC des Docks de Saint-Ouen
Grands ensembles, densification démesurée, autant de concepts qui ont fait lamentablement faillite depuis 40 ans, tant sur le plan humain qu’urbanistique.
Laurent CHALARD pose les vraies questions !...
« Plus de cours, mais des appartements ouvrant sur toutes les faces à l’air et à la lumière, et donnant non pas sur des arbres malingres des boulevards actuels, mais sur des pelouses, des terrains de jeu et des plantations abondantes. (…). La ville, au lieu de devenir un pierrier impitoyable, est un grand parc. L’agglomération urbaine est traitée en ville verte.
En y ajoutant quelques éléments concernant les économies d’énergie et la préservation de la biodiversité, ce texte pourrait très bien être l’annonce de promotion d’un écoquartier francilien. Serions-nous sur le point de répéter la même erreur que nos prédécesseurs des trente glorieuses, avec la construction massive de grands ensembles, devenus le symbole du mal urbain ?
Mêmes utopies, mêmes effets ? La comparaison entre les deux peut paraître osée, mais malheureusement plusieurs éléments ne la rendent que plus pertinente. Tout d’abord, comme pour les grands ensembles, la construction des écoquartiers repose sur une utopie, celle d’une « ville verte » plus proche de la nature, a contrario de la ville traditionnelle, s’appuyant sur l’adoption d’un nouveau mode de vie : collectiviste pour les grands ensembles, écologiste pour les écoquartiers. Or, l’histoire nous enseigne que les utopies ne se concrétisent pas toujours par des réussites, en particulier sur le plan architectural. Les exemples d’immeubles invivables construits par des architectes de renom sont malheureusement légion…. Encore récemment, une polémique dans la municipalité de Courcouronnes, en Essonne, est venue le confirmer ; un architecte de renom refusant la destruction d’un de ses immeubles, pourtant devenu un véritable « ghetto ».
Ensuite, le contexte est identique : un fort besoin de logements en Ile-de-France, même si les raisons diffèrent. Pendant les Trente Glorieuses, il s’agissait de répondre à la forte croissance démographique. Aujourd’hui, le phénomène relève plutôt de modifications des caractéristiques des ménages [la décohabitation, (ndlr : les familles monoparentales, deux divorces sur trois)] combinées au déficit de construction dans les vingt dernières années dans une Région-Capitale, où certaines années le volume de construction de logements a été moindre qu’en Bretagne ! Le marché de l’immobilier Francilien est tendu. Il nécessite donc l’intervention de l’Etat pour relancer la construction, d’où une politique de lancement de grands projets dans l’urgence, l’Etat prévoyant 55.000 nouveaux logements sociaux en Ile-de-France d’ici à 2016.
Troisième point commun : les caractéristiques des projets, qui ne rappellent malheureusement que trop la politique de mise en place des grands ensembles. En effet, leur masse, jusqu’à 5.000 logements, en faisant de véritables petites villes, et non vraiment des quartiers greffés dans un tissu ancien, est la pire des choses au niveau de leur insertion urbaine. Leur localisation apparaît, pour les plus importants, ahurissante. Très éloignés qu’ils sont du centre de la capitale, mais très proches de grands ensembles à problèmes. Le projet d’écoquartier des Hautes-Garennes, sur les communes de Mantes-la-Jolie et Rosny-sur-Seine (Yvelines), en constitue l’exemple caricatural, ayant tout pour se transformer en « Val-Fourré 2 », l’un des quartiers les plus paupérisés de France. Idem, pour l’écoquartier de Puiseux-Louvres (Val-d’Oise), qui s’inscrit dans l’axe de paupérisation remontant la ligne du RER D vers le nord (Saint-Denis-Sarcelles-Villiers-le-Bel-Goussainville) dont il pourrait bien constituer la nouvelle extrémité. En outre, l’importance du nombre de logements sociaux prévus, se basant sur une mixité sociale qui ne fonctionne pas à cette échelle, risque de conduire très rapidement à leur paupérisation par phénomène de dégradation des propriétés privés avoisinantes. Les éventuels ménages plus aisés qui viendraient s’y installer risquent de les quitter très vite, comme ce fut le cas pour les grands ensembles. Enfin, le caractère à dominante collective, mode d’habitat rejeté par la population quand il n’est pas central, n’est pas justifié pour les projets de grande couronne.
Si la relance de la construction de logement en Ile-de-France est nécessaire, on peut se demander si la politique actuelle est bien adaptée à la situation. Il faudrait des projets moins massifs, mieux intégrés à leur environnement urbain et mieux localisés. Car de nombreux écoquartiers s’annoncent comme des ghettos en devenir ! Espérons que la Ministre de l’Egalité des Territoires et du Logement, Cécile DUFLOT, théoriquement écologiste, reviendra à la raison et abandonnera les plus importants d’entre eux, à commencer par les Hautes-Garennes, au risque d’être responsable d’un nouvel échec urbanistique et social cuisant ».
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Question du Vrai Journal de Noisy :
Les écoquartiers d’aujourd’hui, seront-ils les enjeux de la rénovation urbaine de 2040 ?