"Intérêt général" et démocratie

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DE LA DEMOCRATIE,
 A LA GRANDE MASCARADE DE L'INTERET GENERAL !

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Lors du Conseil Municipal du 18 décembre 2008, le Maire de Noisy le Grand a longuement disserté sur la notion d'Intérêt Général, précisant qu'à partir du moment où il avait décidé de l'Intérêt Général d'un projet, plus rien ne l'arrêterait dans son exécution. La messe est dite, résidents du Clos d'Ambert ou des Bas Heurts, vous n'aurez plus la parole, puisqu'au nom de l'Intérêt Général il faut 1500 logements dans cette ville !

Aussi, il nous a paru opportun  de revisiter cette notion d'Intérêt Général vieille de plus de deux cents ans. Notion qui donne lieu aujourd'hui à de multiples interrogations ; est-elle toujours d'actualité ?


Aujourd'hui, chacun comprend l'Intérêt Général comme le dépassement des intérêts particuliers, de l'égoïsme, et la légitimité de l'Etat comme sa capacité à répondre aux intérêts de la population. Ces concepts sont aujourd'hui en crise dans un monde qui change. L'évolution des mentalités n'autorise plus la transgression des règles par les puissants, comme manifestation de la puissance elle-même, l'arrogance, les turpitudes des princes ne sont plus acceptées par une population qui attend de ses mandataires qu'ils donnent l'exemple par leur « vertu personnelle » qui ne se réduit plus à la « vertu républicaine ».

 Ainsi, toute une série de comportements traditionnels de l'Etat sont interprétés de façon négative :

- l'incapacité à entendre les injustices ressenties par tel ou tel groupe et le sentiment d'abandon des populations touchées par les mutations économiques et sociales,

- la protection des puissants et de leurs amis, leur impunité et la professionnalisation de la politique qui font apparaître les politiques comme au dessus des lois, avec leurs intérêts propres dont la logique échappe à l'Intérêt Général,

- l'utilisation abusive de l'Intérêt Général par tout une partie d'une administration qui s'appuie, suivant les cas, tantôt sur le politique, tantôt sur les règles administratives pour faire prévaloir son Intérêt Général.
 

Aujourd'hui, dans la disqualification du politique, nous retrouvons pêle-mêle :

- des Syndicats et des Associations qui n'ont pas le sentiment d'être écoutés et se sentent ravalés au rang de « rustine » ou à celui de courroie de transmission du politique, et pour lesquels il ne reste que la manifestation antidémocratique violente et corporatiste pour se faire écouter,

- des Associations et des Entreprises qui ont le sentiment d'avoir en face d'eux des Elus « Monsieur je sais tout » sur ce qu'il faudrait faire,

- des citoyens qui attendent les résultats du rapport de forces entre l'Administration et les Lobbies.

Et pourtant, les principes élémentaires de la démocratie énoncés ci-après dans la  Déclaration Universelle du Caire en 1997, invitent  à s'inspirer de son contenu.

1. La démocratie est un idéal universellement reconnu et un objectif fondé sur des valeurs communes à tous les citoyens, indépendamment des différences culturelles, politiques, sociales et économiques. Elle est donc un droit fondamental du citoyen, qui doit être exercé dans des conditions de liberté, d'égalité, de transparence et de responsabilité, dans le respect de la pluralité des opinions et dans l'intérêt commun.

2. La démocratie est à la fois un idéal à poursuivre et un mode de gouvernement à appliquer selon des modalités traduisant la diversité des expériences et des particularités culturelles, sans déroger aux principes, aux normes et aux règles reconnues.

3. En tant qu'idéal, la démocratie vise essentiellement à préserver et promouvoir la dignité et les droits fondamentaux de l'individu, à assurer la justice sociale, à favoriser le développement économique et social de la collectivité, à renforcer la cohésion de la société ainsi que la tranquillité nationale et à créer un climat propice à la paix. En tant que forme de gouvernement, la démocratie est le meilleur moyen d'atteindre ces objectifs ; elle est aussi le seul système politique apte à se corriger lui-même.

4. Il ne saurait y avoir de démocratie sans un véritable partenariat entre hommes et femmes dans la conduite des affaires publiques où hommes et femmes agissent dans l'égalité et la complémentarité, s'enrichissant mutuellement de leurs différences.

7. La démocratie est fondée sur la primauté du droit et l'exercice des droits de l'homme. Dans un Etat démocratique, nul n'est au-dessus de la loi et tous les citoyens sont égaux devant elle.

 

Néanmoins, nous constatons tous les jours que plus une chose est évidente, moins elle l'est dans la pratique. Aussi, au risque de passer pour un doux rêveur, il peut être intéressant de répondre à la question : « C'est quoi la démocratie locale ? » :

- C'est très simple, la démocratie locale, c'est lorsque les gens se rassemblent tous ensemble pour prendre une décision sur la vie de la Cité.

- Et encore ?

- Plus exactement, la démocratie locale, c'est surtout lorsqu'une partie d'un ensemble prend une décision pour tout l'ensemble. Voyez-vous ce que nous voulons dire ?

-  Ah, oui ! C'est lorsque après une élection, une majorité relative décide pour tout l'ensemble. C'est ce que nous appelons aujourd'hui la « Démocratie représentative », malgré tous les problèmes que pose la « représentation » dite ......populaire.
 

Seulement voilà, sans aucune concertation avec le peuple, la démocratie dans ce cas là,  c'est un peu de la tyrannie du plus grand nombre sur le plus petit. Vous nous direz, c'est toujours préférable à l'inverse ? Triste compensation que de penser que l'on a intérêt à être heureux parce que ça pourrait être pire, et que notre mal serait un mal, certes, mais un mal nécessaire au nom de l'Intérêt Général.
 

L'intérêt général se situe, depuis plus de deux cents ans, au cœur de la pensée politique et juridique française, en tant que finalité ultime de l'action publique. Il est regardé comme la pierre angulaire de l'action publique.

Cette notion d'intérêt général qui confère  à l'autorité publique des prérogatives exorbitantes, est contestée maintenant dans un rapport d'étude publié par le Conseil d'Etat en 1999. Il met l'accent sur les risques politiques que fait courir un tel projet à la société civile et aux libertés individuelles. Ce phénomène s'en trouve encore aggravé par la mise en cause de la légitimité des Gouvernances, ainsi que de sa capacité à faire prévaloir un véritable intérêt général. Aujourd'hui, le problème du logement en est une parfaite illustration.
 

En ce moment, la croyance de l'intérêt général se trouve ébranlée, de profondes mutations sont nécessaires, tant dans les modes de formulation de l'intérêt général que dans les méthodes qui concourent à sa mise en œuvre. La notion d'intérêt général doit évoluer en fonction des besoins sociaux à satisfaire et des nouveaux enjeux auxquels est confrontée la société. Si de nouvelles demandes s'expriment aujourd'hui, qui traduisent l'aspiration légitime des citoyens à obtenir plus de sûreté personnelle, plus de sécurité face aux risques d'exclusions, plus d'égalité dans l'accès à l'éducation et à la culture, une meilleure protection des grands équilibres écologiques pour notre génération et les générations à venir nous pensons que le caractère évolutif du concept d'intérêt général n'empêche d'ailleurs pas le rattachement aux principes généraux, garantissant le respect des valeurs individuelles consensuelles inhérentes à la poursuite de l'intérêt général.
 

Mais nous comprenons aussi que l'intérêt général est, par nature, rarement consensuel et sa définition résulte d'inévitable confrontation d'intérêts entre lesquels il faut, en fin de compte choisir si l'on veut empêcher le blocage de la décision publique.
 

Cependant, face à la crise qui affecte aujourd'hui la conception de cette notion, le remplacement chaque fois que possible des procédures de contraintes, par des procédures de conviction,  pourrait constituer une voie de solution permettant à la décision publique de retrouver une nouvelle légitimité. Que la procédure de concertation devienne opposable, et prenne toute sa signification dans le processus. Ainsi, la légitimité des choix retenus sera renforcée par une meilleure association des citoyens à l'élaboration et à la mise en œuvre des décisions finales  qui les concernent.


En conclusion, revenons à notre sujet :

 - c'est quoi l'Intérêt Général ?
 - la démocratie comme faible tyrannie, est-ce satisfaisant ?

L'Intérêt Général, ce n'est pas l'intérêt majoritaire puisque aucun raisonnement valable ne peut conduire à affirmer que la majorité a nécessairement raison. Dans une société qui tend à l'individualisme, la somme des intérêts particuliers ne tendrait pas nécessairement vers l'Intérêt Général.

L'Intérêt Général, devrait-être avant tout une recherche du raisonnable à l'échelle humaine. C'est-à-dire prendre la pondération de chaque argument de ses interlocuteurs afin de trouver le « centre de gravité » du débat. C'est un équilibre d'idées, de revendications et d'aspirations. Un consensus qui nécessite le respect, l'écoute, la compréhension des arguments, des citoyens et ce, non pas quantitativement mais aussi qualitativement. Il suppose qu'il n'existe pas d'intérêts lésés.

C'est un processus bien plus long que d'établir le bilan comptable du vote d'une délibération en Conseil Municipal.

En d'autre termes, il faut redéfinir tout simplement la démocratie comme le lieu privilégié de débats ouverts et transparents, et non plus comme l'apanage des professionnels de la politique qui s'imaginent prétentieusement tirer le peuple vers un monde meilleur qu'ils ont eux-mêmes cooptés.

Mieux, tentons l'expérience de mettre de côté pendant dix ans l'Intérêt Général, pour cause d'échec patent et développons les pratiques de la démocratie locale, tout simplement !

C'est par sentiment d'un manque de démocratie dans la prise de certaines décisions, que les citoyens se jettent un jour dans des actions antidémocratiques. Quel paradoxe !...


Alain Cassé

Janvier 2009

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Contribution bibliographique :


  • Jean Jacques LAFFONT, Professeur à l'Institut d'Economie Industrielle de Toulouse. Intérêt général et intérêts particuliers.
  • Rapport Public 1999 du Conseil d'Etat. Réflexion sur l'Intérêt Général.
  • Union Interparlementaire, Déclaration Universelle sur la Démocratie, adoptée lors de sa 161 ème session, par son Conseil, Le Caire-16 septembre 1997.
  • Pierre LEHALLE, Passer de l'intérêt Général à la Démocratie. Janvier 2008.
  • Jean Claude COIFFET, Vice Président du Cercle Condorcet de Bordeaux. Démocratie représentative et Démocratie participative.

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E
Au sein d'une Entreprise Capitaliste, diverses motivations se rencontrent, qui peuvent s'opposer. Exemples:1- L'industrie pharmaceutique fabrique telle des vaccins pour éviter des décès, au nom de l'Intérêt Général, ou bien pour faire bénéficier des dividendes aux actionnaires, au nom de l'Intérêt Particulier ??2- Un constructeur d'accéssoires automobiles fabrique-t-il des ceintures de sécurité pour éviter des morts sur les routes au nom de l'intérêt général ou des intérêts de l'entreprise ?3- Dans une ZAC, la Commune construit-elle un étage supplémentaire (R+5+Comble), en densifiant à outrance au nom de l'Intérêt Général parce qu'il faut des logements sociaux, ou pour améliorer la profitabilité de l'Opération Immobilière, et ainsi bonifier les dividendes des actionnaires du promoteur au nom de leur Intérêt Particulier ?Vaste sujet de réflexion !!!...
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E
Au sein d'une Entreprise Capitaliste, diverses motivations se rencontrent, qui peuvent s'opposer. Exemples:1- L'industrie pharmaceutique fabrique telle des vaccins pour éviter des décès, au nom de l'Intérêt Général, ou bien pour faire bénéficier des dividendes aux actionnaires, au nom de l'Intérêt Particulier ??2- Un constructeur d'accéssoires automobiles fabrique-t-il des ceintures de sécurité pour éviter des morts sur les routes au nom de l'intérêt général ou des intérêts de l'entreprise ?3- Dans une ZAC, la Commune construit-elle un étage supplémentaire (R+5+Comble), en densifiant à outrance au nom de l'Intérêt Général parce qu'il faut des logements sociaux, ou pour améliorer la profitabilité de l'Opération Immobilière, et ainsi bonifier les dividendes des actionnaires du promoteur au nom de leur Intérêt Particulier ?Vaste sujet de réflexion !!!...
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C
<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> 31/ La prparation au combat contemporain<br /> <br /> <br /> <br /> La question de la démocratie est un sujet de discussion depuis des siècles !<br />  <br /> Pour Aristote (philosophe grec, -363 av. JC), la république se transforme en démocratie lorsque l'intérêt personnel l'emporte sur l'intérêt général. Le principe associé à cette forme de régime est la vertu : il doit être compris comme une forme d’altruisme, de préférence accordée à l’intérêt général sur l’intérêt individuel ; il prend différentes formes : le dévouement à la collectivité, le patriotisme, l’amour des lois et de l’égalité. Mais Aristote savait que l’homme vertueux n’existe pas…<br />  <br /> La démocratie n’est pour Montesquieu (philosophe français, 1689-1755) qu’une déclinaison de la république, un des trois régimes qu’il avait définis dans une acception proche de celle déjà proposée par Aristote. La vraie question porte sur le recours à l'équité au sens où Aristote  le préconisait déjà, en respectant l'intérêt général et surtout en ne créant pas une nouvelle inégalité au motif d'en supprimer une. Ramener tout à soi, c'est prendre le risque de dissoudre la communauté des hommes.<br />  <br /> Le Général de Gaulle, Président de la République, lors de son discours d'investiture le 8 janvier 1959 définit ainsi la portée de l’intérêt général : <br />  […]  Destin de la France ! Ces mots évoquent l'héritage du passé, les obligations du présent et l'espoir de l'avenir. Depuis qu'à Paris, voici bientôt mille ans, la France prit son nom et l'Etat sa fonction, notre pays a beaucoup vécu. Tantôt dans la douleur et tantôt dans la gloire, il a durement surmonté les innombrables vicissitudes du dedans et du dehors. Au cours du dernier demi siècle, il a subi les blessures et les déchirements les plus graves de son histoire. Mais, voici qu'une occasion soudaine s'est offerte à lui de sortir du doute, des divisions, des humiliations. Voici qu'il veut la saisir en faisant passer l'intérêt général au-dessus de tous les intérêts et préjugés particuliers. Voici que le meilleur est, grâce à Dieu !, à la portée des Français, pourvu qu'ils restent fidèles à l'effort et à l'unité. […] <br />  <br /> CQFD<br />
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A
La Démocratie Participative est considérée à juste titre comme une avancée significative sur le chemin d’une CONCERTATION plus riche entre Citoyens et Elus. Cependant, ses faiblesses de fond, ajoutée à une difficulté indéniable de mise en œuvre si la Commune n’en a pas une réelle volonté, doivent nous convaincre que la désirer est une chose, mais la mettre réellement en place et en retirer tous les fruits attendus en est une autre…<br />  <br /> Toutes les enquêtes le confirment, cette demande est récurrente de la part des citoyens, mais attention aux chausses – trappes !!!. Il ne suffit pas de tenir au courant les citoyens, dans un quelconque journal communal, fusse-t-il Noisy Magazine, et de solliciter un vague avis après des débats plus ou moins laborieux, en déposant un feuillet dans une urne ouverte aux quatre vents.<br />  <br /> Aussi, les Associations et Citoyens tirés au sort, auront dans ce contexte un triple rôle à jouer dans les Conseils de Quartiers:<br />  <br /> -          en informant les citoyens sur les enjeux et méthodes,<br /> -          en participant activement au processus participatif,<br /> -          en veillant à ce que les grands débats ne soient pas noyés par des questions uniquement partisanes.<br />  <br /> La Démocratie Participative se donne à qui veut bien faire l’effort de la mériter…
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F
Pour pouvoir dire qu'il y a crise de la démocratie, encore faudrait-il que l'on soit en démocratie. Certains chroniqueur parlent de "Monarchie Elective".Non seulement l'Election n'est pas la garantie de la démocratie, mais elle peut l'assassiner. Cette affirmation peut paraître une provocation pour beaucoup, car ne considére-t-on pas aujourd'hui que le premier geste démocratique dans un pays est d'organiser des élections libres? Toutefois les exemples sont nombreux pour montrer qu'il y a dans ce geste un aspect plus symbolique, voire hypocrite, qu'une marque concrète de la démocrtisation.En effet, puisque une "démocratie locale", peut être la possibilité pour les opprimés de choisir, tous les cinq ou six ans les oppresseurs.Pour résumer l'argumentation, Jean Claude COIFFET, Professeur de Sciences Economiques et Sociales dit que la délégation de souveraineté qu'implique la représentation aboutit à une confiscation de pouvoir, et qu'il est possible de préciser cette formule en faisant trois constats:-le non choix électoral,-la confiscation technocratique,-une technostructure occulte.Le constat est sévère, mais à la mesure du désenchantement de nombreux citoyens, car cette confiscation et cette absence de transparence conduisent certains à la violence plus ou moins spontanée pour enfin se faire entendre. Sans parler de la démobilisation politique du plus grand nombre.Le danger est réel....
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J
<br /> Très bien fait votre article,<br /> Hier les socialistes présent à la chambre des députés ont donnés une bonne idée pour le prochain conseil Municipal.....<br /> En ouverture du prochain conseil municipal, les habitants de Noisy doivent en faire autant?  Monsieur Pajon ne pourra pas nous le refuser ni tourner le dos à l’assemblée présente. <br />  <br />
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M
Bravo, excellent article.Je partage pleinement votre analyse.
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