L'avenir des maisons individuelles ? (suite)
IMMERSION
DANS LA FRANCE
DES MAISONS D’HABITATIONS
INDIVIDUELLES.
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Vilipendé par la ministre du Logement Emmanuelle WARGON, qui prône la «densité heureuse», ce modèle d’habitat séduit pourtant toutes les couches sociales. Depuis la pandémie et les confinements successifs, les français misent au contraire tout sur l’aménagement de leur cocon. Une manière de conjurer les inquiétudes sur l’avenir du pays.
Et si l’avenir était dans «la densité heureuse»? Et si «le modèle de la maison individuelle avec jardin» était aujourd’hui «dépassé»?
C’est un «non-sens écologique, économique et social», assénait il y a quelques semaines la Ministre du Logement Emmanuelle WARGON.
Ainsi, les Français, dont 75% aspirent à emménager dans une maison individuelle, voient leur rêve «déconstruit» à grands coups d’injonctions écologiques: «zéro artificialisation des sols», «un cadre de vie plus dense», ou encore une «nouvelle culture de l’habitat collectif».
Selon Emmanuelle WARGON, il s’agissait d’une critique «du modèle de l’urbanisme des années 1960 et 1970 qui a fait se multiplier, en périphérie des villes un peu partout en France, des lotissements». «Un appel à imaginer la ville et l’urbanisme de demain», précise-t-elle.
Mais il y a deux ans déjà, son prédécesseur, Julien DENORMANDIE, «assumait» de «décourager la construction de maisons», au profit de la relance des centres-villes: «Ce n’est pas la société qu’on souhaite», martelait-il.
À Fouras, 4000 habitants, commune prisée du littoral, en Charente-Maritime, les zones pavillonnaires continuent à essaimer sur les rares terrains disponibles. La taille des parcelles proposées à la vente a fondu, ici comme ailleurs, mais l’intérêt pour ces jardins privatifs reste entier. Une trentenaire qui s’apprête à s’établir mentionne qu’elle ne s’est jamais posé la question de vivre en appartement. Surtout après les confinements, assure-t-elle.
Avoir un espace extérieur, c’est aller et venir comme on veut, être chez soi !
Gérant d’une Agence immobilière, ce dernier résume les tendances du marché à Fouras: «Sans extérieur, rien ne se vend. La tendance est très nette: les gens veulent tous une maison avec jardin.».
Les propos d’Emmanuelle WARGON,«Je les comprends, d’un point de vue écologique. Mais ça n’est pas pour ça que j’ai envie de vivre en copropriété, avec des voisins à gauche, à droite et au-dessus, ironise-t-il. Si on abandonne les commodités accessibles en milieu urbain, ça n’est pas pour en retrouver les désagréments…».
L’ancienne Maire de Fouras devenue l’été dernier Présidente du département de la Charente-Maritime, défend elle aussi «ce retour à la nature, cet espace de liberté en dehors de quatre murs». Cette Fourasine, qui se passionne pour le jardinage, se montre critique vis-à-vis du discours gouvernemental : «Atteindre les objectifs fixés par la loi, comme la fin en 2050 de l’artificialisation de sols, signifie le retour à la verticalité des habitations, affirme-t-elle. Celà n’est pas très cohérent.
Les biens vont prendre une valeur folle, les maisons individuelles vont devenir des sanctuaires inabordables et vont entraîner un profond déséquilibre dans notre société.
Où mettrons-nous les jeunes couples avec enfants?»
Quant aux professionnels, ils sont «révoltés» : «Nous avons maintenant un Gouvernement qui veut nous dire là où il faut vivre et sous quelle forme!, s’insurge le Président de la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles.
Vouloir entasser les Français dans du logement collectif aux portes des métropoles, c’est vouloir réserver “le rêve pavillonnaire” aux catégories sociales les plus aisées et laisser aux autres, comme seul espoir, le logement social, puisque le logement collectif en métropole est inaccessible financièrement .»
Quelque 56 % du parc français est constitué de «logements individuels», c’est-à-dire de maisons. Plus d’un propriétaire (58 % des Français) sur deux en possède une, selon l’INSSE. « L’engouement des Français pour le modèle de la maison individuelle est ancien, relève l’analyste politique Jérôme Fourquet (*). Certains y voient le souvenir plus ou moins enfoui de racines paysannes. C’est dans les années 1970 que le Premier ministre Raymond BARRE décide de réorienter la politique d’aide à la pierre des grands ensembles vers l’accession à la propriété et la construction de lotissements. C’est l’apparition des maisons Phénix et Bouygues, de l’expression “on a fait construire”… Pour pas mal de gens modestes, le pavillon, promu par les séries américaines, était une étape supplémentaire vers le bonheur.»
Afin de récupérer de la taxe d’habitation, garder leur école, des Maires de petits villages n’hésiteront pas à rendre constructible le champ de betteraves. «Compte tenu du succès de ce modèle, il a fallu construire de plus en plus loin, poursuit l’auteur. Et on a créé un public de périurbains ultra-dépendants de la voiture. »
La crise sanitaire et l’essor du télétravail ont, on le sait, révélé de nouveaux comportements immobiliers. « Notamment des déplacements des grands centres métropolitains vers des petites communes où la pression foncière est moins forte, indique-t-on au Conseil supérieur du notariat. Cette redistribution est un enjeu de taille au regard de l’aménagement du territoire.
Cette envie de verdure, traduction d’une volonté de “déconnexion connectée”, ne peut bénéficier aux villes petites et moyennes que si elles ont la capacité de proposer toutes les infrastructures, notamment des moyens de communication très performants. » La dernière note de conjoncture immobilière des Notaires de France évoque des chiffres « historiques » : les prix des maisons anciennes ont bondi de 8,9 % en un an. Depuis 2019, les ventes de maisons neuves ont progressé de 16,3 %, les délivrances de permis de construire de 18,3 %. « La crise a été à l’origine d’une véritable rupture dans les critères de recherches de logements, confirme-t-on chez PAP (de Particulier À Particulier). Les petites villes et les zones rurales tirent toujours leur épingle du jeu : + 21,9 % en septembre 2021 par rapport à 2019. Les maisons représentent 63 % des recherches, contre 59 % il y a deux ans. »
De la « maison de catalogue jouxtant une zone commerciale à la périphérie d’une ville moyenne assoupie » au « mas provençal avec piscine », « l’éventail de prix pour accéder au modèle majoritaire va de 150.000 à 1 million d’euros et au-delà, écrivent les auteurs de La France sous nos yeux. Ménages modestes, bourgeois, banlieusards… peu de catégories sociales résistent à sa puissance d’attraction ».
« Le tollé qu’ont suscité les propos de la Ministre ne sont pas surprenants, commente Jérôme Fourquet. Elle a touché un point extrêmement sensible, l’écrin protecteur dans lequel on se retrouve avec famille et amis. La civilisation du cocon, matérialisée par la maison et tout ce qu’il y a autour : le jardin, la terrasse, le barbecue, le trampoline - ce qui fait que les enfants ne vont plus au parc - et de plus en plus, la piscine, qui permet de contourner le bassin municipal, fréquenté par une population qu’on ne choisit pas. On ne se sent pas écouté, on est inquiet ou sceptique sur l’avenir du pays, donc on s’investit d’autant plus dans cette bulle individuelle ». La piscine, « nouveau grand rêve» des Français, qu’il faut remplir, chauffer et traiter, ne sera-t-elle pas, se demande l’analyste, la prochaine à rayer sur la liste, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique?
Ancien délégué à la qualité de la vie au Ministère de l’Environnement, ce dernier observe que son poste « a été supprimé depuis des années»… « Ce n’est pas la maison qui doit être durable, mais le mode de vie ! s’exclame le retraité, Président d’honneur de l’Association HQE-GBC (l’alliance des professionnels pour un cadre de vie durable). N’oublions pas que la maison individuelle offre un potentiel de captage d’énergie, du soleil ou du sol, bien supérieur à celui des immeubles collectifs. Elle permet de recycler une bonne partie des déchets organiques, de se nourrir de sa production.
L’environnement, on n’en voit toujours que les contraintes. Si on veut mobiliser les gens pour la transition, il faut que ce soit attractif ! Pourquoi ne pas donner envie aux habitants de ces maisons individuelles d’utiliser toutes ces potentialités ? »
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Contribution bibliographique : Le FIGARO, le 13 novembre 2021, Stéphane KOVACS et Fabien PAILLOT,
(*) « La France sous nos yeux » Jérôme FOURQUET avec Laurent CASSELY- Editions du SEUIL
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